Depuis quelques années, la psilocybine, principe actif de certains champignons hallucinogènes, gagne du terrain en tant que thérapie potentielle contre divers troubles mentaux, tels que la dépression. Les résultats étant prometteurs, des essais cliniques sur des personnes souffrant d’addiction à l’alcool ont été menés récemment. Lors de tests, comparant pour la première fois la molécule avec un placebo dans ce cadre, les patients ont vu leur dépendance diminuer spectaculairement de 83% ! Obligatoirement accompagné d’un suivi psychologique, le traitement à la psilocybine contre l’alcoolisme devrait prochainement subir des tests plus approfondis et plus larges avant de pouvoir être soumis à la FDA.
Extraite de certains champignons hallucinogènes, la psilocybine est un composé psychotrope altérant l’état de conscience. Similaires à ceux du LSD, les effets apparaissent généralement entre 15 à 45 minutes après l’ingestion et dureraient entre 4 à 6 heures, bien que ces chiffres puissent varier selon la personne.
Agissant directement sur les connexions neuronales, la molécule est considérée en tant que piste prometteuse pour soigner certains troubles mentaux, bien que les mécanismes biomoléculaires induisant ces effets ne sont pas encore bien compris. Quant à l’idée d’utiliser la psilocybine pour traiter les troubles liés à l’abus d’alcool, elle remonterait aux années 60-70.
Des chercheurs du Centre de médecine psychédélique de Langone (à New York) ont testé cliniquement le composé, en l’accompagnant d’un suivi psychologique, pour traiter la dépendance à l’alcool. L’alcoolisme est un trouble impactant non seulement le patient lui-même, mais aussi son entourage. L’OMS estime que près de 237 millions d’hommes et 46 millions de femmes en souffrent, avec des prévalences plus élevées en Europe et aux États-Unis, et surtout dans les pays à revenus élevés. Parmi les décès attribuables à l’alcool, 28% seraient traumatiques (accidents de la circulation, violence, …), 21% seraient dus aux pathologies métaboliques en conséquence et 19% aux maladies cardiovasculaires.
En réponse aux enjeux sanitaires et socio-économiques directement corrélés à l’alcoolisme, les solutions actuelles reposent généralement sur la psychologie et les programmes de désintoxication. Cependant, les risques de rechute restent élevés. « Nos résultats suggèrent fortement que la thérapie à la psilocybine est un moyen prometteur de traiter les troubles liés à la consommation d’alcool, une maladie complexe qui s’avère notoirement difficile à gérer », estime Michael P. Bogenschutz, auteur principal de la nouvelle étude, parue dans la revue JAMA Psyhiatry, et directeur de la psychiatrie au Centre de médecine psychédélique de Langone.
Des résultats prometteurs
Dans le cadre de la nouvelle étude, 93 hommes et femmes ayant un historique de dépendance à l’alcool et âgés de 25 à 65 ans ont été recrutés. Sur la base de la définition standard de la maladie, ces personnes sont considérées comme alcooliques car elles consomment en moyenne 7 verres par jour. Répartis au hasard, 48 d’entre eux ont reçu entre une et trois doses de psilocybine, tandis que les 45 autres ont reçu un placebo. Parallèlement, chacun a bénéficié d’un suivi psychologique (jusqu’à 12 séances) avant, pendant et après les traitements.
Pour l’évaluation des effets du médicament, les patients ont été invités à indiquer le nombre de jours de forte consommation d’alcool au cours des 36 semaines d’essai clinique. Des échantillons d’ongles et de cheveux ont également été prélevés pour confirmer ou non leur déclaration de consommation d’alcool.
Résultat : les candidats ayant reçu de la psilocybine ont réduit leur consommation d’alcool de 83% en moyenne, tandis que ceux qui ont reçu un placebo l’ont réduite de 51%. De plus, huit mois après leur première dose, 48% des patients ayant reçu la molécule active ont complètement cessé de boire, contre 24% seulement pour le groupe placebo. Compte tenu de ce grand écart, la plupart des patients et les chercheurs ont par la suite facilement deviné qui avait reçu le principe actif. « J’ai arrêté de boire juste après ma première séance de psilocybine. Cela a fonctionné très rapidement pour moi », a témoigné Jon Kostas, un participant à l’étude classé dans le groupe psilocybine. « Cela a éliminé toutes mes envies », a-t-il ajouté.
Toutefois, le groupe de recherche a enregistré quelques effets secondaires, notamment des maux de tête, des nausées et de l’anxiété, plus accentués dans le groupe psilocybine. Cependant, les effets secondaires les plus graves ont été observés chez le groupe placebo et en dehors du laboratoire d’essai. Les patients ont également signalé des altérations émotionnelles et des sensations, habituellement liées à la prise d’hallucinogènes. En plus de ces divers effets pouvant induire des états psychologiques invalidants, la molécule est également un cardiotonique, d’où la nécessité de suivre (et de préparer psychologiquement) les patients de très près lors de la prise du médicament.
Comment ça marche ?
Malgré les effets curatifs spectaculaires, les chercheurs de la nouvelle étude affirment ne pas comprendre encore complètement comment la molécule agit sur le cerveau. L’explication possible serait un mécanisme similaire au LSD, notamment l’activation des récepteurs 2A de la sérotonine (5-HT2A), au niveau des régions cérébrales impliquées dans les fonctions cognitives telles que l’introspection et la capacité d’exécution.
En activant ces récepteurs, il serait apparemment possible que la psilocybine puisse stimuler la connectivité neuronale. Chez les personnes souffrant de dépression par exemple, cela confèrerait plus de malléabilité au cerveau pour atténuer les schémas de pensées rigides et négatives. Selon les chercheurs de Langone, la molécule serait probablement capable de « réinitialiser » les réseaux neuronaux pour rendre possibles de nouveaux apprentissages, facilitant ainsi les thérapies psychologiques.
« Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il existe un potentiel accru de changement, et dans le contexte de la thérapie, la psilocybine peut améliorer la capacité des gens à effectuer ces changements », suggère Bogenschutz. Toutefois, des recherches plus larges et plus approfondies seront nécessaires pour en comprendre les mécanismes exacts, un programme déjà prévu par l’équipe de recherche.