Cela fait 18 mois maintenant que le rover Perseverance explore la planète Mars. À son bord, outre divers instruments d’observation et d’analyse, il embarque un petit appareil conçu pour produire de l’oxygène à partir de l’atmosphère martienne : MOXIE. Ce dispositif, guère plus grand qu’une boîte à chaussures, a été développé par des chercheurs du MIT. L’équipe communique aujourd’hui ses premiers résultats, qui s’avèrent de très bon augure pour une future mission habitée sur Mars.
L’atmosphère martienne est essentiellement composée de dioxyde de carbone (à 95% environ). MOXIE (Mars Oxygen In-Situ Resource Utilization Experiment) est capable de produire de l’oxygène par électrolyse à oxyde solide du CO2. Depuis l’atterrissage du rover, en février 2021 et jusqu’à la fin de 2021, l’appareil a produit sept fois de l’oxygène, de jour comme de nuit et dans diverses conditions atmosphériques. À chaque essai, il a atteint son objectif : produire au moins 6 grammes d’oxygène par heure — soit la capacité de production d’un petit arbre sur Terre.
Un MOXIE à plus grande échelle contribuerait à l’exploration humaine durable de Mars. Envoyé sur la planète rouge avant la mission habitée, l’engin pourrait produire suffisamment d’oxygène pour combler les besoins des astronautes sur place, mais aussi pour alimenter la fusée qui devrait les ramener sur Terre. Les récentes performances de MOXIE nous rapprochent un peu plus de cet objectif. « Nous avons appris énormément de choses qui éclaireront les futurs systèmes à plus grande échelle », a déclaré Michael Hecht, chercheur principal de la mission MOXIE à l’observatoire Haystack du MIT.
Un système fonctionnel dans toutes les conditions
Le MOXIE qui se trouve actuellement sur Mars est de taille minimale — il devait en effet pouvoir être embarqué sur le rover Perseverance. Il a également été conçu pour ne fonctionner que sur de courtes périodes. Néanmoins, le petit appareil a démontré qu’il peut convertir de manière fiable et efficace l’atmosphère de Mars en oxygène pur. Et cette prouesse est véritablement historique : il s’agit de la première démonstration au monde de l’utilisation réelle de ressources d’une autre planète et de leur transformation en quelque chose d’utile pour l’Homme.
Comment procède-t-il ? Il commence par aspirer l’air martien à travers un filtre HEPA, qui élimine tout contaminant. L’air est ensuite comprimé via une pompe à spirale, chauffé à 800 °C, puis envoyé à travers un électrolyseur à oxyde solide (SOXE) — un instrument développé et construit par OxEon Energy, qui clive les molécules de dioxyde de carbone en ions oxygène et en monoxyde de carbone. Un électrolyte en céramique de zircone stabilisée au scandium transmet sélectivement les ions oxygène à l’anode ; ces derniers sont ensuite recombinés pour former du dioxygène (O2), dont MOXIE mesure la quantité et la pureté avant de le libérer dans l’atmosphère.
Chaque phase de production d’une heure nécessite plusieurs heures de préchauffage ; une fois sa tâche accomplie, l’appareil est mis hors tension. MOXIE est conçu pour produire jusqu’à 10 grammes d’oxygène, soit environ 20 minutes d’oxygène respirable pour un seul individu. Les chercheurs rapportent qu’en 2021, il a produit entre 5,4 et 8,9 grammes à chaque essai, pour un total de près de 50 grammes.
« Un système similaire à MOXIE, mis à l’échelle plusieurs centaines de fois (2 à 3 kg/heure de production d’oxygène contre 6 à 8 g/heure pour MOXIE), pourrait produire suffisamment d’oxygène pour lancer un MAV [véhicule d’ascension martien] destiné à un équipage arrivant un cycle de 26 mois plus tard », affirment les chercheurs dans Sciences Advances. À noter que chacun des essais s’est produit dans des conditions complètement différentes. Il était en effet crucial de s’assurer que le système fonctionnait de façon optimale quelles que soient l’heure, la saison et les conditions atmosphériques.
Vers la conception d’usines à oxygène martiennes
L’atmosphère de Mars est en effet beaucoup plus changeante que celle de la Terre : « La densité de l’air peut varier d’un facteur deux au cours de l’année, et la température peut varier de 100 degrés », précise Jeffrey Hoffman, chercheur principal adjoint de MOXIE. L’équipe n’a pas encore testé son fonctionnement aux toutes premières et aux dernières heures du jour martien, où la température varie considérablement ; ce sera la dernière étape de la démonstration.
Les ingénieurs prévoient de pousser la capacité et d’augmenter la production de l’instrument, en particulier au printemps martien, lorsque la densité atmosphérique et les niveaux de dioxyde de carbone seront les plus élevés. Au printemps, une partie des glaces carboniques se sublime et les flux de dioxyde de carbone donnent naissance à de gigantesques tempêtes de poussière. « Nous allons donc tout régler aussi haut que possible et laisser tourner le système aussi longtemps que possible », a déclaré Hecht. Le but est de déterminer précisément les limites de l’engin, afin de construire un système encore plus robuste.
Si un système à grande échelle devra idéalement fonctionner en continu, ce n’est pas le cas de MOXIE ; or, ses démarrages et arrêts successifs, qui multiplient les contraintes thermiques, sont susceptibles d’endommager le système au fil du temps. Mais s’il reste fonctionnel, cela signifie qu’un système plus grand, fonctionnant en continu, pourrait tourner pendant des milliers d’heures — et donc assurer la survie des futurs astronautes. « Des problèmes peuvent survenir dans les systèmes à grande échelle qui ne sont pas rencontrés par MOXIE, mais une grande partie de la pertinence pour les systèmes futurs a été apprise de la construction et de l’exploitation de MOXIE », concluent les chercheurs.
Selon Hecht, une petite équipe d’astronautes aura besoin d’environ une tonne métrique d’oxygène respirable pour une seule année sur Mars. Mais il faut ajouter à cela la quantité d’oxygène nécessaire au voyage de retour : « Pour brûler son carburant, une fusée doit avoir beaucoup plus d’oxygène en poids. Pour faire décoller quatre astronautes de la surface martienne lors d’une future mission, il faudrait 7 tonnes métriques de carburant de fusée et 25 tonnes métriques d’oxygène », a déclaré le chercheur l’an dernier.