Si vous faites partie des gens tatoués, vous savez à quel point la procédure est douloureuse (et parfois très longue). Imaginez que votre prochain tatouage soit réalisé à l’aide d’un patch à micro-aiguilles, qui s’applique simplement sur la peau et injecte l’encre sans douleur et sans effusion de sang ! C’est le principe du dispositif créé par une équipe du Georgia Institute of Technology d’Atlanta. Si ce dernier a été conçu avant tout à des fins médicales, il pourrait être appliqué aux tatouages vétérinaires et cosmétiques.
Les tatouages sont utilisés en médecine pour couvrir les cicatrices, guider les traitements répétés de radiothérapie contre le cancer ou restaurer les mamelons après une chirurgie. Les tatouages peuvent également être utilisés à la place de bracelets pour signaler des conditions médicales particulières telles que le diabète, l’épilepsie ou les allergies. Mais le tatouage est un processus particulièrement douloureux : une grosse aiguille doit perforer la peau jusqu’au derme à plusieurs reprises pour y déposer de l’encre ; et selon la surface à tatouer, cela peut prendre des heures… À cela s’ajoutent les risques d’infection.
Parallèlement, des patchs cutanés à micro-aiguilles (de l’ordre de quelques centaines de micromètres) ont été développés comme alternative plus simple et moins invasive aux injections médicamenteuses : des aiguilles microscopiques pénètrent sous la surface de la peau pour libérer le médicament pour un effet local ou une absorption systémique via le système vasculaire dermique. Des chercheurs du Georgia Institute of Technology se sont inspirés de cette technologie pour élaborer des patchs dédiés au tatouage : ici, chaque micro-aiguille correspond à un point de l’image.
Des informations essentielles apposées en toute discrétion
Les patchs à micro-aiguilles conventionnels dédiés à l’administration de médicaments sont généralement de forme carrée ou circulaire. Pour créer des patchs avec d’autres formes, les chercheurs ont utilisé un découpeur laser pour percer des cavités coniques dans des feuilles de polydiméthylsiloxane ; ils ont ainsi pu former n’importe quel motif souhaité (pour l’expérience : un cœur et une étoile). Chaque micro-aiguille était constituée d’un mélange de particules d’encre de tatouage et d’un polymère hydrosoluble biocompatible. « Parce que les micro-aiguilles sont faites d’encre de tatouage, elles déposent l’encre dans la peau de manière très efficace », a déclaré dans un communiqué Song Li, premier auteur de l’étude.
Une fois l’encre déposée sous la peau, les micro-aiguilles se dissolvent ; il ne reste que le support de patch exempt de tout élément piquant ou tranchant présentant un risque biologique. Les patchs ont tout d’abord été testés sur des rats : les images sont restées visibles pendant au moins un an, conservant à la fois leur forme et leur couleur. « La procédure a été bien tolérée, sans effets indésirables observés sur la peau », précisent les chercheurs. L’équipe a également testé ces patchs en les chargeant d’encre fluorescente, uniquement visible sous lumière ultraviolette.
Ils ont ensuite cherché à développer leur technologie d’une manière qui pourrait bénéficier aux tatouages médicaux et vétérinaires : le patch devait pouvoir contenir des informations (sous forme de lettres et de chiffres) pouvant guider le traitement. Après avoir réalisé avec succès un tatouage à un chiffre (avec encre visible et ultraviolette), ils ont conçu de la même façon un patch à 10 chiffres. « De tels tatouages numériques pourraient être utilisés pour enregistrer la date ou l’année d’une intervention médicale ou d’autres informations quantitatives nécessaires au traitement ou au suivi », note l’équipe dans iScience. Elle a également démontré que davantage d’informations peuvent être stockées en tatouant un QR code de la même manière.
Si l’encre UV offre déjà une certaine discrétion, les chercheurs précisent qu’une confidentialité encore plus grande pourrait être obtenue en utilisant un colorant qui n’est visible que dans l’infrarouge (ou d’autres parties du spectre électromagnétique) et nécessite un équipement spécialisé pour sa détection.
Des tatouages réagissant aux changements environnementaux et physiologiques
D’autres symboles médicaux ont été générés de la sorte : l’équipe a réalisé huit patchs différents pour tatouer la peau avec les groupes sanguins (A+, A-, B+, etc.), ainsi qu’un patch composé du symbole DT1 (pour diabète de type 1). « Ces tatouages médicaux démontrent la faisabilité de développer des patchs à micro-aiguilles pour fournir des informations en utilisant différents chiffres, lettres, symboles, couleurs et leurs combinaisons », écrivent les chercheurs.
Autre application médicale testée par l’équipe : l’administration conjointe d’un vaccin et de la date de vaccination. Le double patch développé pour cet essai contenait deux sections distinctes (pour éviter toute interaction entre le vaccin et l’encre) : d’une part le vaccin antipoliomyélitique inactivé (sur un support carré classique à micro-aiguilles) et d’autre part l’encre de tatouage dans un réseau de micro-aiguilles formant le nombre « 20 » (pour l’année 2020).
Testé sur des rats, ce double patch a induit une réponse immunitaire à la vaccination qui n’était pas significativement différente de celle observée sur des rats vaccinés par injection intramusculaire. Aucun effet indésirable n’a été observé sur la peau et la procédure a été globalement bien tolérée ; le nombre 20 (que l’encre soit visible ou UV) est resté lisible pendant au moins un an après la vaccination. « Cette approche pourrait être particulièrement utile dans les milieux à faibles ressources disposant d’une infrastructure limitée pour les dossiers de santé », souligne l’équipe.
Enfin, les chercheurs ont évalué la faisabilité de patchs photosensibles et thermosensibles — partant du principe qu’il pourrait être utile d’avoir un tatouage réagissant aux changements environnementaux. Ils ont ainsi combiné de l’encre visible et ultraviolette pour créer un tatouage s’affichant différemment selon les conditions d’éclairage. De la même façon, ils ont créé un patch chargé avec une encore normale et une encre thermochromique : l’apparence du tatouage changeait selon la température.
Ce type de tatouage peut être utilisé pour surveiller la température de la peau, par exemple en cas de fièvre ou lors d’un traitement impliquant une exposition à une température élevée. Il est même possible d’envisager des tatouages réagissant à d’autres facteurs physiologiques tels que le taux de glucose, les enzymes et le pH. Ces tatouages doivent à présent faire l’objet de tests sur l’Homme pour confirmer leur innocuité et leur longévité, ainsi que leur caractère indolore.
En dehors de ces usages médicaux, ces patchs à micro-aiguilles pourraient être utilisés pour coder des informations de façon indolore dans la peau des animaux, notamment pour indiquer leur état de stérilisation. Mais il n’est évidemment pas question de remplacer le travail artistique des tatoueurs : la complexité, les dimensions et les coloris des dessins seraient bien trop difficiles à reproduire de cette manière. « Notre objectif est de créer de nouvelles opportunités pour les patients, les animaux domestiques et les personnes qui souhaitent un tatouage indolore et facile à administrer », résume Mark Prausnitz, auteur correspondant de l’étude.