Si les systèmes ABO et Rhésus sont les systèmes de classification de groupes sanguins les plus connus (et les plus utilisés), il faut savoir qu’il existe en réalité des dizaines de façons de regrouper les globules rouges selon les molécules (sucres, protéines) qu’ils portent à leur surface, appelées antigènes. Des scientifiques du NHS Blood and Transplant (NHSBT) et de l’Université de Bristol ont découvert un nouveau système de groupes sanguins, appelé Er. C’est le 44e système de groupes sanguins à ce jour.
De tristes circonstances ont malheureusement mené à cette découverte. Un enfant à naître présentait des signes de détresse, l’équipe médicale de l’hôpital britannique où a été admise la mère a donc pris la décision de pratiquer une césarienne d’urgence avant le terme. Le bébé est malheureusement décédé d’une hémorragie cérébrale et ce, malgré les efforts de l’équipe et les transfusions sanguines réalisées. En recherchant les causes du décès, les médecins se sont aperçus que le sang de la mère contenait d’étranges anticorps. Un échantillon de son sang a donc été envoyé à des spécialistes d’un laboratoire de Bristol.
Les chercheurs ont alors découvert que ce sang était d’un type extrêmement rare, potentiellement incompatible avec le sang du bébé. Le système immunitaire de la mère aurait donc pu produire des anticorps contre le sang de son bébé, qui ont malheureusement traversé la barrière placentaire. C’est typique d’un trouble rare appelé « maladie hémolytique du nouveau-né » (ou érythroblastose fœtale), défini par la destruction des hématies de l’enfant par les anticorps de la mère. Le sang de cette femme se distinguait de celui de son enfant par une protéine particulière présente à la surface des globules rouges.
Deux formes rares, à l’origine d’une grave maladie
Les antigènes qui différencient les globules rouges sont absolument déterminants lors d’une transfusion : si le sang est incompatible avec celui du receveur, son système immunitaire va immédiatement considérer ces antigènes comme étrangers à l’organisme et s’attaquer à eux. C’est pourquoi certains chercheurs spécialisés s’attèlent à examiner minutieusement chaque échantillon de sang jugé « anormal » ; c’est ainsi qu’une dizaine de nouveaux systèmes de groupes sanguins ont été découverts au cours de la dernière décennie.
Un nouvel antigène à incidence élevée, nommé Era, a été découvert il y a près de 40 ans. La base moléculaire de cet antigène, ainsi que des deux autres membres de la collection de groupes sanguins Er (Erb et Er3) découverts par la suite, n’avaient cependant pas encore été élucidée.
Non seulement les chercheurs ont pu caractériser le fond génétique de ces 3 antigènes, mais ils ont également identifié deux nouveaux antigènes de la même « famille », nommés Er4 et Er5, qui sont extrêmement rares. Ces cinq antigènes permettent dès lors d’établir un tout nouveau système de groupes sanguins. « La plupart des gens ont ce que nous considérons comme la forme “normale” d’Er, mais un petit nombre d’individus ont des formes modifiées, y compris les nouvelles formes que nous avons identifiées dans cette étude », précise Nicole Thornton, du Laboratoire international de référence des groupes sanguins du NHSBT.
Les groupes sanguins récemment découverts, Er4 et Er5, sont peu communs mais sont malheureusement à l’origine de cas de maladie hémolytique du nouveau-né. Deux patientes, dont le cas a été examiné dans le cadre de ces recherches, ont perdu leur bébé pour cette raison.
Des variations sanguines portées par une protéine
L’équipe a identifié la protéine Piezo1 — qui joue un rôle important dans de nombreux processus biologiques — comme étant porteuse de ce système de groupe sanguin. Des mutations du gène PIEZO1 codant pour cette protéine sont à l’origine des différents antigènes du groupe Er (Era, Erb, Er3, Er4 et Er5). « La confirmation du rôle de Piezo1 comme molécule porteuse des antigènes du groupe sanguin Er a été démontrée à l’aide d’immunoprécipitations, d’études de knockout et d’expression de gènes médiées par CRISPR/Cas9 dans une lignée cellulaire érythroblastique [ndlr : les érythroblastes sont de jeunes globules rouges] », détaillent les chercheurs dans la revue Blood.
Ces variations génétiques entraînent la substitution de certains acides aminés constituant la protéine Piezo1 chez un petit nombre de personnes. Dès lors, les cellules sanguines contenant la protéine Piezo1 la plus courante sont considérées comme étrangères par leur système immunitaire. Il existe donc à ce jour cinq variations possibles de la protéine Piezo1 à la surface des globules rouges, pouvant entraîner une incompatibilité.
Mais il se pourrait que d’autres mutations génétiques liées à ce sang rare restent à découvrir. Une équipe américaine, du New York Blood Center, s’intéresse elle aussi au groupe sanguin Er et disposent d’échantillons de sang supplémentaires qui semblent provenir de personnes ayant un groupe Er rare. Grâce aux recherches de l’équipe britannique, peut-être que d’autres variations émergeront bientôt.
En attendant, cette découverte permettra de mettre au point de nouveaux tests pour identifier les personnes présentant des groupes sanguins peu courants, dans le but de leur fournir les meilleurs soins possibles. Elle permettra également de détecter et de traiter au plus tôt (via une transfusion sanguine in utero) les problèmes d’incompatibilité sanguine entre les femmes enceintes et leurs bébés.
Les résultats de cette étude serviront probablement à définir officiellement un nouveau système de groupe sanguin plus tard cette année, lors d’une réunion de la Société internationale de transfusion sanguine.