Les trous noirs, qui sont peut-être les objets les plus mystérieux de l’Univers, sont encore largement incompris. La majorité d’entre eux que l’on a découverts jusqu’ici ont pu l’être grâce à la lumière émise par leurs disques d’accrétion. Certains sont par contre bien plus difficiles à observer, notamment à cause du type de rayonnement avec lesquels ils interagissent ou de l’absence d’interaction avec d’autres objets ou de matière (absence de disque d’accrétion). L’un de ces « monstres cosmiques », passé inaperçu jusqu’ici car dépourvu de disque d’accrétion, a récemment été détecté. Il s’agirait du trou noir le plus proche de la Terre jamais découvert. Distant de seulement 1550 années-lumière, il serait pratiquement dans « notre arrière-cour » cosmique (pour donner une image de la proximité d’un point de vue cosmique). Il s’agit également d’un type de trou noir que l’on découvre à peine.
Les trous noirs sont connus pour exercer une telle force gravitationnelle que même la lumière se fait happer et ne peut en échapper. Ils sont le plus souvent détectés par le biais de la lumière émanant de la matière attirée et dévorée (du gaz et de la « poussière »), qui forme généralement de gigantesques anneaux lumineux à leurs bords extérieurs. Il arrive également que les forces interagissant en leur sein soient si intenses qu’ils projettent des jets de matière et de lumière sur des milliers de kilomètres. Leur observation est également relativement facilitée quand ils se rapprochent suffisamment entre eux, attirés par leurs forces gravitationnelles mutuelles. Les astronomes estiment d’ailleurs que les trous noirs supermassifs au centre des galaxies seraient à l’origine de leur formation et de leur évolution (des galaxies).
Les trous noirs sont cependant plus difficiles à observer quand il y a peu ou pas d’objets suffisamment proches pour interagir avec eux. Ces trous noirs « sans interaction » passent donc inaperçus dans les profondeurs de l’espace et sont extrêmement difficiles à étudier. « On ne sait pas encore comment ces trous noirs sans interaction affectent la dynamique galactique de la Voie lactée », explique Sukanya Chakrabarti, titulaire de la bourse Pei-Ling Chan au département de physique et d’astronomie de l’Université d’Alabama à Huntsvilles (États-Unis) et auteure principale de la nouvelle étude. Bien qu’il soit pour l’instant difficile d’évaluer leur nombre exacte, « s’ils sont nombreux, ils pourraient bien affecter la formation de notre galaxie et sa dynamique interne », ajoute-t-elle.
D’après l’experte de la nouvelle étude prépubliée sur arXiv, la majorité de ces trous noirs d’un nouveau genre évolueraient dans des systèmes binaires (accompagnés d’une étoile) et émettent des rayonnements X, en raison des interactions avec leur étoile. « Alors que les éléments de l’étoile tombent dans ce puits de potentiel gravitationnel profond, nous pouvons observer des rayonnements X », indique Chakrabarti.
Par ailleurs, l’orbite de ces systèmes d’interaction aurait tendance à être de période courte. Celle du nouveau trou noir détecté ne serait que de 185 jours, d’autant plus qu’il serait assez éloigné de son étoile pour ne pas l’absorber. « Il s’agit d’une nouvelle population que nous commençons à peine à découvrir et qui nous éclairera sur la formation des trous noirs », estime Peter Craig, doctorant à l’Institut Technologique de Rochester et co-auteur de la nouvelle étude.
Un trou noir faisant 12 fois la masse du Soleil
Pour détecter le trou noir, les chercheurs de la nouvelle étude ont analysé près de 200 000 étoiles binaires avec le télescope spatial Gaia de l’ESA. D’autres ressources, telles que les données de l’Automated Planet Finder en Californie, le télescope géant de Magellan au Chili et l’observatoire WM Keck à Hawaï, ont également été utilisées. L’objet de la recherche était notamment de détecter des corps célestes de grande masse, mais dont la luminosité ne serait due qu’à une seule étoile visible.
Les mesures spectroscopiques effectuées ont permis de déceler l’attraction du trou noir sur son étoile, dont la masse serait plus ou moins équivalente à celle du Soleil. « L’attraction du trou noir sur l’étoile visible semblable au soleil peut être déterminée à partir de ces mesures spectroscopiques, qui nous donnent une vitesse de ligne de visée due à un décalage Doppler », explique Chakrabarti. L’effet Doppler est le changement de fréquence perçue d’une onde par un observateur, comparable à l’effet sifflant du son changeant d’un train passant à grande vitesse dans une gare, ou d’une ambulance en mouvement.
Ces analyses ont également permis de déterminer la masse du trou noir accompagnant l’étoile. Étrangement, avant que les chercheurs ne découvrent qu’il s’agissait d’un trou noir, ils ont constaté que l’étoile gravitait autour d’un objet invisible faisant 12 fois la masse du Soleil. Les chercheurs ont alors conclut qu’il s’agissait d’un trou noir, longtemps passé inaperçu alors qu’il n’est distant que de 1550 années-lumière de la Terre. Il s’agirait ainsi du trou noir le plus proche de notre planète jamais découvert.
D’après les estimations des auteurs de la nouvelle étude, il y aurait environ un million d’étoiles visibles gravitant autour de trous noirs massifs « invisibles » dans notre galaxie. Cependant, ce n’est encore qu’une estimation très vague, compte tenu des cent milliards d’étoiles que compte notre galaxie. « Donc, il nous faudra probablement un certain temps pour comprendre leur démographie, comment ils se forment, et comment ces trous noirs sont différents — ou similaires — à la population plus connue de trous noirs en interaction et en fusion », conclut Chakrabarti.