Développées dans les années 1950, les horloges atomiques sont à ce jour les dispositifs les plus précis qui existent pour mesurer le temps. Une équipe de chercheurs de l’Université d’Uppsala, en Suède, a mis au point un dispositif de mesure du temps encore plus précis et innovant. Celui-ci peut mesurer un délai entre deux moments (autrement dit mesurer l’écoulement du temps), mais sans compter les secondes qui se sont écoulées.
Les horloges atomiques reposent sur la fréquence — immuable — du rayonnement électromagnétique émis par un électron lorsqu’il passe d’un niveau d’énergie à un autre, pour assurer l’exactitude et la stabilité du signal oscillant qu’elle produit. Depuis 1967, la seconde est ainsi définie comme étant la durée exacte de 9 192 631 770 oscillations de la transition entre les niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133. C’est sur ces horloges que reposent le temps atomique international et le temps universel coordonné.
Le chronomètre quantique dont il est question ici peut mesurer l’écoulement du temps, mais sans compter les secondes. C’est une manière totalement nouvelle de mesurer le temps. Le dispositif repose sur une technique appelée « pompe-sonde », qui permet de mesurer des phénomènes ultrarapides dans la matière, à l’aide d’impulsions laser très courtes. Concrètement, une impulsion laser brève et intense (la pompe) est envoyée sur un nuage d’atomes, les portant à des niveaux d’énergie plus élevés ; puis, une deuxième impulsion plus faible (la sonde) est utilisée pour mesurer l’effet de la pompe.
Une « empreinte digitale » de la durée d’évolution d’un système
Ces expériences pompe-sonde sont très utilisées en science des matériaux, car elles permettent d’observer les transformations d’un matériau à l’échelle moléculaire, et d’obtenir des informations sur la dynamique de décroissance de l’excitation générée par l’impulsion laser. Cependant, il est parfois difficile de mesurer le temps qui s’écoule entre la pompe et la sonde. La montre quantique développée par l’équipe suédoise permet de contourner ce problème.
Pour mettre au point cette montre d’un nouveau genre, les chercheurs ont d’abord tiré un faisceau laser sur un nuage d’atomes d’hélium. Les atomes se sont alors retrouvés dans une superposition d’états quantiques (ils se trouvaient dans plusieurs niveaux d’énergie à la fois) ; les chercheurs parlent d’une superposition cohérente d’états de Rydberg. Ces niveaux d’énergie interagissent, créant un motif d’interférence qui change avec le temps — comme on peut l’observer dans la célèbre expérience des fentes de Young, dans laquelle interfèrent deux faisceaux lumineux issus d’une même source.
Les chercheurs ont mesuré cette figure d’interférence pendant 1,7 picoseconde, puis l’ont comparée aux résultats de simulations d’interférence ; ils ont ainsi pu identifier l’unique laps de temps au cours duquel les figures correspondaient, ce qui leur a permis de déterminer précisément pendant combien de temps les atomes d’hélium étaient en état de superposition.
« Nous montrons que les oscillations résultant d’un ensemble d’états de Rydberg hautement excités, qui convergent au seuil d’ionisation, donnent lieu à un motif d’interférence unique qui ne se répète pas pendant la durée de vie du paquet d’ondes de Rydberg. Nous appelons ces oscillations des signatures de battement quasi uniques (QUBS), car elles fournissent une empreinte digitale de la durée d’évolution depuis la création du paquet d’ondes », expliquent les chercheurs dans Physical Review Research.
Une approche qui ne nécessite pas de compteur
Contrairement à d’autres horloges telles que les horloges mécaniques, à quartz ou atomiques, qui fonctionnent en comptant le nombre d’oscillations à partir d’une fréquence bien définie, la minuterie basée sur les QUBS n’utilise pas de compteur : elle fournit une empreinte digitale représentant une heure spécifique et ne nécessite donc qu’une interaction lors de l’initialisation et de la lecture de l’heure.
En d’autres termes, il n’est pas nécessaire de mesurer exactement le moment où les atomes ont été placés dans un état de superposition. Puisqu’elle ne requiert pas de « démarrer » l’horloge, cette méthode est beaucoup plus simple ; il suffit de regarder la structure d’interférence et d’en déduire le temps écoulé.
L’équipe note que leur montre quantique pourra être adaptée pour servir une expérience spécifique, car il existe plusieurs possibilités en termes d’échantillons et d’énergies photoniques requises. « Si l’on a besoin d’utiliser des impulsions de pompe à énergie photonique inférieure, des gaz inertes tels que Ne, Ar, Kr et Xe pourraient être utilisés à la place de He. Augmenter l’énergie photonique de l’impulsion de pompe n’est pas impossible non plus », précisent-ils.
Cette approche sera très utile dans les expériences qui nécessitent de mesurer un délai entre deux moments dans des systèmes à petite échelle, car elle est extraordinairement précise. Les chercheurs pourraient ainsi effectuer des mesures extrêmement rapides de systèmes qui évoluent dans le temps, comme la chute d’une seule molécule, les interactions quantiques entre la lumière et la matière ou l’exposition d’un matériau à un champ magnétique. En revanche, elle ne pourra être appliquée à la mesure du temps de manière plus générale, soulignent les experts.