The Line, Oxagon et Trojena, ce sont les noms des trois zones qui composeront Neom, la mégapole futuriste que souhaite développer l’Arabie Saoudite. Au programme : accès Internet à haut débit sans fil, taxis volants, hologrammes, robots domestiques, système de reconnaissance faciale et… station de sports d’hiver. Si ce projet très controversé n’est longtemps demeuré qu’un délire utopiste, il semblerait qu’il commence à se concrétiser.
Neom s’inscrit directement dans le plan saoudien « Vision 2030 », présenté en 2016. Ce plan, estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars, comprend des changements réglementaires, budgétaires et politiques, visant à rendre le pays moins dépendant du pétrole. Le concept ? Une mégapole aux allures futuristes, s’étendant dans la province de Tabuk, au nord-ouest de l’Arabie saoudite, en plein désert. Au cœur de ce projet, The Line, qui comme son nom l’indique, prendra la forme d’une haute ligne recouverte de miroirs, de 170 kilomètres de long, sur 500 mètres de haut.
Neom devrait également intégrer un grand complexe industriel « zéro émission carbone », baptisé Oxagon, construit sur l’eau et alimenté exclusivement par une énergie propre. « Oxagon contribuera à redéfinir l’approche mondiale du développement industriel à l’avenir, en protégeant l’environnement tout en créant des emplois et de la croissance », a déclaré Mohammed ben Salmane, prince héritier et président de Neom Co. Dernier maillon du projet : Trojena, le secteur montagneux de la mégapole, qui proposera des pistes de ski ouvertes toute l’année et un lac artificiel d’eau douce. Bien que de nombreux économistes et architectes aient mis en doute la faisabilité du projet, les travaux d’excavation de The Line ont débuté ce mois-ci…
« Une catastrophe pour l’environnement »
Des images prises par un drone de la société OT Sky confirment que le chantier a bel et bien démarré. Cette ville qui semble sortir tout droit d’un film de science-fiction sera composée de deux gratte-ciel parallèles, d’une hauteur de 500 mètres, s’étendant de la côte aux montagnes sur 170 kilomètres. Cette ville linéaire fera quelque 200 mètres de large ; elle pourrait accueillir jusqu’à 9 millions d’habitants — soit l’équivalent de la population de New York. « The Line utilisera des énergies 100% renouvelables et 95% des terres seront préservées pour la nature », annonce le site officiel du projet.
L’objectif du concept est de disposer tous les services de la ville verticalement ; les résidents pourront naviguer de bas en haut, ou traverser la ligne. On n’y verra aucune route ni voiture : le projet prévoit des déplacements en taxis volants uniquement, ainsi qu’un train à grande vitesse qui permettra de relier les deux extrémités de la ligne en une vingtaine de minutes. Neom accueillera un aéroport, un port maritime, des centres industriels, des installations de recherche, de sport et de formation.
Deux autres zones sont également annoncées sur le site du projet : Oxagon, présentée comme une « porte d’entrée vers des industries avancées et propres », qui deviendra le plus grand complexe industriel flottant au monde ; Trojena, une sorte de station de loisirs d’environ 60 km2, qui proposera toute l’année des pistes de ski — alors qu’officiellement, l’Arabie saoudite ne figure pas dans la liste des 86 pays où le ski est possible en extérieur — des pistes de VTT, des sports nautiques, des installations de bien-être et une réserve naturelle interactive.
Trojena devrait être achevée dès 2026 : elle a en effet été récemment choisie pour accueillir les Jeux d’hiver asiatiques 2029 — une décision qui a suscité l’indignation générale étant donné le dérèglement climatique actuel. « Ce genre de décisions ne fait que compromettre sérieusement notre capacité à avoir une planète habitable, et donc à pouvoir faire du sport. C’est contre-productif. C’est une catastrophe pour l’environnement et pour les valeurs du sport », a déclaré Mael Besson, spécialiste de la transition écologique du sport, ex-responsable au WWF et ancien chef de mission « développement durable et transition écologique » au ministère des Sports.
Peine de mort pour les opposants au projet
Non seulement le projet soulève des problèmes écologiques majeurs, mais bafoue les droits de l’Homme : trois membres de la communauté Howeitat ont été récemment condamnés à mort par les tribunaux saoudiens pour s’être opposés à l’expulsion de leur tribu de la province de Tabuk, où doit être construite la future ville. Le frère de l’un des condamnés avait été abattu en avril 2020 par les forces de sécurité, parce qu’il s’opposait lui aussi au déplacement des tribus locales et avait refusé de quitter sa maison. En août dernier, deux Howeitat ont été arrêtés et condamnés chacun à 50 ans de prison.
« Ces condamnations choquantes montrent une fois de plus le mépris insensé des autorités saoudiennes pour les droits de l’Homme et les mesures cruelles qu’elles sont prêtes à prendre pour punir les membres de la tribu Howeitat pour avoir légitimement protesté contre l’expulsion forcée de leurs maisons », a déclaré l’organisation saoudienne de défense des droits humains (ALQST), dans un communiqué. Quelque 20 000 Bédouins auraient déjà été forcés de quitter le territoire et les mesures d’expulsion se sont renforcées depuis la fin 2021.
En parallèle, le pays diffuse des offres alléchantes pour attirer les cadres dirigeants occidentaux dans des secteurs tels que le tourisme, la technologie et le divertissement. Le pays a investi massivement dans le métavers et l’intelligence artificielle, afin que chacun puisse visiter virtuellement Neom avant d’investir dans la ville. Selon le magazine Fortune, l’Arabie saoudite proposerait des salaires d’un million de dollars aux dirigeants d’entreprise qui accepteraient de coordonner les travaux du projet.
Outre ses technologies sophistiquées, la ville possède des atouts de taille : elle se situe au bord de la mer Rouge, par laquelle transitent près de 13% du commerce mondial, et 40% de la population mondiale se trouve à moins de six heures de vol. « Je pense que ce projet est sans précédent et qu’il va stimuler l’innovation et la technologie comme nous ne l’avons jamais vu auparavant », a déclaré à CNBC Catherine Granger, PDG de Trajan Consulting, qui a travaillé en étroite collaboration avec Neom. Nouvelle ère technologique pour certains, désastre écologique et humain pour d’autres, le projet Neom n’a sans doute pas fini de faire parler de lui.