L’espace proche est bien mieux connu que nos océans. Bien que couvrant près des trois quarts de notre planète, seulement 10% ont été cartographiés avec précision. Récemment, des scientifiques ont mené une expédition inédite pour découvrir les grands fonds de deux nouveaux parcs marins australiens. Ils ont découvert des animaux fantasmagoriques, effrayants, mais tous adaptés à la survie dans des conditions extrêmes. Mieux comprendre cet écosystème demeuré caché et préservé si longtemps permettra de le conserver au mieux contre les activités humaines.
L’océan est l’élément vital de la Terre, couvrant plus de 70% de la surface de la planète, déterminant la météo, le climat, régulant la température et soutenant tous les organismes vivants ainsi que la production d’oxygène. Tout au long de l’histoire, l’océan a été une source vitale de subsistance, de transport, de commerce, de croissance et d’inspiration.
Pourtant, malgré cette dépendance à l’égard de l’océan, plus de 80% reste non cartographié et inexploré. En effet, compte tenu du degré élevé de difficulté et le coût de l’exploration des océans à l’aide de véhicules sous-marins, les chercheurs se sont longtemps appuyés sur des technologies telles que le sonar pour générer des cartes du fond marin. Actuellement, moins de 10% de l’océan mondial est exploré et cartographié à l’aide de la technologie sonar moderne.
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Il faut savoir que les cinq principaux bassins océaniques, les océans Pacifique, Atlantique, Indien, Arctique et Austral, contiennent 94% de la faune mondiale et 97% de toute l’eau de la planète, selon l’UNESCO. Étant donné que les profondeurs abyssales sont inexplorées, les créatures qu’elles renferment le sont aussi.
C’est ainsi qu’en octobre 2022, un groupe de chercheurs du Museum Victoria Research Institute a mené un voyage de recherche révolutionnaire dans les territoires de l’océan Indien, explorant les îles éloignées Cocos (Keeling). Leurs nombreuses découvertes d’animaux marins fantastiques alimentent depuis quelques jours Internet.
Un voyage vers l’inconnu
Les lacunes en matière de connaissances sur les valeurs de la biodiversité de l’Océan Indien australien, autour des îles isolées de l’île Christmas et des Cocos, sont immenses. Certes, cet environnement marin est connu pour ses espèces emblématiques telles que les requins-baleines, les tortues, les raies manta, les dauphins à long bec et une vaste gamme d’oiseaux marins, mais il existe des espèces moins connues bien que tout aussi fascinantes, notamment des poissons hybrides ayant évolué localement, qui résultent du mélange des eaux des océans Indien et Pacifique. Le voyage d’exploration du Museum Victoria, à travers les deux nouveaux parcs marins créés en mars 2022, achève une première enquête mondiale sur la biodiversité marine des monts sous-marins qui composent ces îles.
Il faut savoir que ces monts sous-marins datent pour la plupart du Crétacé supérieur — il y a 65 à 80 millions d’années — et peuvent abriter d’anciennes communautés endémiques. Les habitats marins des monts sous-marins sont également facilement endommagés par les activités humaines, et ce voyage avait pour objectif de recueillir des données importantes pour leur conservation et leur gestion.
Une collection d’espèces à la fois effrayantes et merveilleuses
Après une expédition de 35 jours sur 11 000 km, le navire de recherche Investigator exploité par le CSIRO, l’agence scientifique nationale australienne, est revenu au port le 3 novembre 2022 avec un vaste échantillon d’espèces jusque-là inconnues. La vie des espèces dans ces eaux profondes est difficile par le manque de lumière et la rareté des proies.
C’est pour cette raison que Dianne Bray, directrice principale des collections du Museum Victoria, déclare à l’Australian Broadcasting Corporation que les poissons que les scientifiques parviennent à trouver dans ces eaux sont si terrifiants et uniques. Elle précise : « Ils sont capables de bioluminescence pour attirer leurs proies, tout en se cachant ou se camouflant dans les profondeurs marines. Ils sont souvent dotés d’organes sensoriels démesurés, ainsi que de grandes bouches avec des dents effrayantes afin de rentabiliser chaque repas ».
Concrètement, c’est une vidéo sous-marine qui a permis de révéler dans un premier temps une vie marine diversifiée, les poissons planant au-dessus des sommets des monts sous-marins, dont des échantillons ont été prélevés jusqu’à 5 kilomètres sous la surface.
Parmi ces découvertes fascinantes se trouvent deux anguilles. La première est aveugle et a été collectée à une profondeur d’environ 5 km. Elle est recouverte d’une peau lâche, transparente et gélatineuse. Ses yeux sont peu développés et, ce qui est inhabituel pour un poisson, les femelles donnent naissance à des petits vivants.
La deuxième est littéralement appelée « l’anguille pélican bizarre », avec une petite tête devant ses énormes mâchoires et un estomac extensible pour qu’elle puisse engloutir et avaler de gros aliments. Les anguilles pélican sont recouvertes d’une peau veloutée noire et ont un organe léger sur le bout de la queue pour attirer les proies.
Les chercheurs ont également découvert ce qu’ils nomment des « Batfishs » des grands fonds. Ils se promènent sur le fond marin sur leurs nageoires en forme de bras. Ils ont un minuscule leurre de pêche dans un petit creux sur leur museau pour attirer les proies. Ils font partie de la famille des baudroies.
Dans la même catégorie, le Tribute Spiderfish possède des nageoires inférieures incroyablement longues avec des pointes épaissies, sur lesquelles il s’appuie comme s’il était sur des échasses, lui donnant la hauteur parfaite pour se nourrir de petites crevettes qui dérivent dans le courant.
Citons également les poissons-lézards à hautes nageoires. Ce sont des prédateurs voraces des grands fonds avec des bouches munies de longues dents pointues. Ils appartiennent à un groupe de poissons hermaphrodites simultanés. Ils ont un ovotestis comportant des tissus reproducteurs mâles et femelles fonctionnels.
La vipère de Sloane vorace est munie d’énormes dents en forme de crocs qui sont visibles même lorsque la bouche est fermée. Elle possède des rangées d’organes légers le long de la face inférieure et une très longue nageoire supérieure avec des leurres à l’extrémité pour attirer les proies.
Le Slender Snipe Eel, trouvé jusqu’à 4 km sous la surface de la mer, possède une longue queue filiforme. Il peut atteindre un mètre de long pour seulement 50 grammes. Les mâchoires recourbées, ouvertes en permanence, sont couvertes de minuscules dents crochues qui accrochent les crustacés.
Enfin, les scientifiques ont également révélé des oursins « crêpes », qui ont un squelette délicat s’aplatissant comme une crêpe lorsqu’ils sont hors de l’eau, mais dont les épines sont empoisonnées.
Le Dr Tim O’Hara, directeur scientifique de l’expédition, du Museum Victoria Research Institute, déclare dans un communiqué : « Nous avons découvert un nombre incroyable d’espèces potentiellement nouvelles vivant dans ce parc marin éloigné ».
Des cartes actualisées avec précision
L’équipe a également produit des images tridimensionnelles détaillées de la montagne massive sous les îles Cocos elles-mêmes, qui n’ont jamais été cartographiées en détail auparavant.
Le Dr Tim O’Hara souligne : « Nous avons transmis ces nouvelles cartes 3D et images vidéo sous-marines directement du navire aux habitants des îles Cocos, qui ont été ravis de voir leur paysage marin dans toute sa splendeur ».
Nelson Kuna, l’un des deux hydrographes à bord du CSIRO, a déclaré que très peu de cartographie à haute résolution avait été effectuée dans le parc marin des îles Cocos avant ce voyage.
VIDÉO : Exemple de cartographie des monts sous-marins des îles Cocos. © CSIRO
Il ajoute : « Nous avons utilisé toutes les capacités de cartographie de la profondeur océanique de RV Investigator pour étudier complètement les îles Cocos, des profondeurs côtières inférieures à 100 m jusqu’à l’abîme à environ 4800 m plus bas ».
L’ensemble de données couvre désormais une zone importante du nouveau parc marin et montre les îles Cocos comme des « pics jumeaux d’un énorme mont sous-marin » qui s’élève à près de 5000 mètres du fond marin environnant.
Le PDG de Museums Victoria et l’équipe scientifique concluent dans un communiqué : « Les résultats de la recherche de cette expédition seront inestimables pour notre compréhension des environnements sous-marins australiens et de l’impact que les humains ont sur eux. Nous sommes fiers que nos cartes, données et images soient utilisées par Parks Australia pour gérer le nouveau parc marin à l’avenir ».