Les chercheurs du centre NeuroRestore, basé en Suisse, sont parvenus à identifier précisément le type de cellules nerveuses qui, via stimulation électrique épidurale, permettent aux personnes paralysées de marcher à nouveau. Cette découverte ouvre la voie à des thérapies ciblées, qui pourraient permettre aux personnes atteintes de lésions de la moelle épinière de retrouver tout ou partie de leur mobilité.
Une lésion importante de la moelle épinière interrompt les voies du cerveau et du tronc cérébral qui se projettent dans la moelle épinière lombaire, entraînant une paralysie. En 2018, les neuroscientifiques Grégoire Courtine de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et Jocelyne Bloch des Hôpitaux universitaires de Lausanne, ont montré que la stimulation des nerfs inférieurs de la colonne vertébrale par impulsions électriques — une technique nommée stimulation électrique épidurale (EES) — associée à une rééducation intensive, pouvait rendre la capacité de marcher aux personnes atteintes d’une paralysie motrice grave ou complète.
Leur technique a permis à neuf patients, dont trois n’avaient plus aucune sensation dans les jambes, de faire quelques pas avec un déambulateur au bout de cinq mois. Quatre d’entre eux n’ont plus besoin d’EES pour marcher ! En examinant pour la première fois l’activité de la moelle épinière humaine durant la marche, les chercheurs ont constaté que l’activité neuronale diminuait à mesure de la récupération. Ils ont ainsi émis l’hypothèse que cette réduction inattendue traduisait une sélection de sous-populations neuronales spécifiques, en fonction de l’activité (ici, la récupération). Ils rapportent aujourd’hui avoir découvert quels neurones étaient spécifiquement sollicités puis remodelés pour la restauration de la marche.
Des neurones dédiés à la récupération après lésion
Le fait que l’amélioration de la motricité des patients persiste même en l’absence de stimulation électrique suggère une repousse et une réorganisation des fibres nerveuses impliquées dans la marche. Pour mieux comprendre ce « remodelage », afin d’améliorer les traitements et d’en faire bénéficier un maximum de patients, les chercheurs ont émulé chaque aspect du traitement sur des souris : lésions médullaires, EES et rééducation, puis support robotique pour assurer la stabilité des animaux.
Ils ont ensuite examiné l’activité des gènes dans les milliers de neurones individuels localisés dans des échantillons de tissu rachidien de souris, de manière à obtenir une cartographie détaillée des différents types de cellules nerveuses. « Nous avons pour la première fois pu établir un atlas moléculaire de la moelle épinière d’une précision telle qu’il nous permet d’observer, neurone par neurone, l’évolution du processus de guérison », souligne Grégoire Courtine, professeur de neurosciences à l’EPFL, qui co-dirige le centre .NeuroRestore avec Jocelyne Bloch.
Puis, à l’aide d’un algorithme, l’équipe a recherché les neurones qui présentaient des changements d’activité à certaines étapes clés du traitement. C’est ainsi que les chercheurs ont identifié une étonnante sous-population d’interneurones excitateurs — des cellules nerveuses qui relient les neurones moteurs et sensoriels : ces neurones, nommés Vsx2, ne sont pas particulièrement sollicités pour la marche des individus en bonne santé, mais se révèlent en revanche essentiels pour leur récupération après une lésion de la moelle épinière.
En effet, après avoir désactivé exclusivement ces neurones chez des souris blessées, l’équipe a constaté que l’EES ne permettait plus de restaurer leur mobilité ; l’intervention était en revanche sans conséquence sur les souris saines. « Ceci indique que les neurones Vsx2 sont à la fois nécessaires et suffisants pour que le traitement d’électrostimulation soit efficace et entraîne la réorganisation du système nerveux », résume un communiqué de l’EPFL. L’importance de ces neurones croît à mesure que le processus de récupération progresse.
Bientôt d’autres fonctions restaurées de la même façon ?
Quant à la baisse globale de l’activité neuronale de la moelle épinière observée pendant le processus de récupération, Courtine souligne que c’est en réalité typique d’un processus d’apprentissage. « Cela ne devrait pas être une surprise, parce que dans le cerveau, quand vous apprenez une tâche, c’est exactement ce qu’il se produit : il y a de moins en moins de neurones activés à mesure que vous vous améliorez », a-t-il déclaré.
Les neurones Vsx2 ont été identifiés ici chez la souris, mais ce sont probablement les mêmes neurones qui sont responsables de la récupération chez l’Homme, car l’architecture de la colonne vertébrale est très similaire chez les vertébrés, souligne Eiman Azim, neuroscientifique au Salk Institute for Biological Studies de La Jolla, en Californie.
La cartographie neuronale établie par les chercheurs est une avancée fondamentale : grâce à elle, les neuroscientifiques pourraient manipuler directement l’activité de neurones spécifiques via d’autres traitements, comme la thérapie génique. Selon Marc Ruitenberg, neurologue à l’Université du Queensland à Brisbane, en Australie, spécialiste en lésions de la moelle épinière, les thérapies à base de cellules souches pourraient un jour remplacer les populations de neurones endommagées lors des lésions.
Il note par ailleurs que retrouver la capacité de marcher n’est bien souvent pas la priorité des personnes paralysées : la perte du contrôle de la vessie, des intestins et de la fonction sexuelle peut avoir un impact plus important sur la qualité de vie. Par conséquent, il serait intéressant de vérifier si ces fonctions peuvent également être améliorées grâce à cette technologie, souligne-t-il. Et c’est justement l’un des prochains objectifs de Courtine et son équipe, qui peuvent désormais s’appuyer sur leur carte moléculaire de la moelle épinière lombaire pour identifier les neurones responsables de ces fonctions.