Si Mariah Carey peut se vanter de couvrir cinq octaves avec sa voix (et d’être diffusée partout dans le monde chaque année durant la période de Noël), ce n’est rien comparé aux capacités des chiroptères, plus communément appelés chauves-souris. Ces petits mammifères sont capables de produire des signaux vocaux, pour l’écholocalisation ou pour communiquer avec leurs congénères, couvrant une gamme de fréquences de 1 à 120 kHz, ou 7 octaves. Les sons les plus graves sont produits via une technique spécifique, similaire à celle utilisée par les chanteurs de death metal.
De nombreux animaux produisent des sons pour communiquer entre eux, mais la gamme vocale des chauves-souris est absolument exceptionnelle et dépasse de loin les possibilités des autres vertébrés, y compris les humains — dont la voix, en dehors de quelques rares chanteurs, ne couvre que trois octaves. Les scientifiques ne connaissent pas encore la signification de l’ensemble de ces sons, mais pensent qu’ils sont produits via des membranes vocales laryngées spécifiques, situées à proximité des cordes vocales. Pour le vérifier, une équipe de l’Université du Danemark du Sud a examiné en détail les mouvements de ces membranes.
« Nous avons identifié pour la première fois quelles structures physiques du larynx oscillent pour produire leurs différentes vocalisations », a déclaré Coen Elemans, professeur au Département de biologie et expert en production de sons d’animaux. Son équipe et lui ont ainsi découvert que les chauves-souris peuvent produire des sons à très basse fréquence (de 1 à 5 kHz), en utilisant ce que l’on appelle communément les « fausses » cordes vocales (ou bandes ventriculaires), que seuls les chanteurs de death metal ou les chanteurs de gorge mongols parviennent à activer.
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Des bandes ventriculaires pour manifester leur mécontentement
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont prélevé cinq larynx de chauves-souris, puis leur ont appliqué un flux d’air imitant la respiration naturelle. Ils ont alors filmé les vibrations, à plusieurs fréquences, des différentes structures composant ces larynx. Outre les cordes vocales communes à tous les mammifères, celles des chauves-souris se terminent par des membranes apicales très fines (de 6 à 10 micromètres d’épaisseur). Elles sont également dotées d’une seconde membrane apicale, plus petite, pointant vers le bas à partir des bandes ventriculaires.
Chez l’Homme, les bandes ventriculaires sont des structures du larynx situées juste au-dessus des cordes vocales. Elles ne sont pas sollicitées pour la parole ou le chant « normal » ; en revanche, les sons gutturaux typiques du death metal, tout comme certains chants de gorge pratiqués à travers le monde, sont produits en déplaçant ces structures vers le bas, jusqu’à ce qu’elles entrent en contact avec les cordes vocales. « Cela alourdit les cordes vocales, qui vibrent alors à des fréquences très basses », explique Jonas Håkansson, premier auteur de l’étude dérivant le mécanisme de production vocale des chauves-souris.
Alors que le chant guttural (aussi appelé grunt, ou death growl) utilisé dans le monde musical vise à donner une tonalité encore plus sombre, voire inhumaine, à la chanson, la fonction exacte de ces sons très graves chez la chauve-souris reste incertaine. L’équipe a toutefois remarqué que ces grognements étaient souvent produits lorsque les chauves-souris entrent ou sortent d’un perchoir densément peuplé. « Certains semblent agressifs, d’autres peuvent être l’expression d’une contrariété, et d’autres encore peuvent avoir une fonction très différente. Nous ne le savons pas encore », a déclaré Lasse Jakobsen, biologiste expert en chauves-souris et co-auteur de l’étude. Ces sons auraient donc probablement un rôle agonistique.
De fines membranes vocales pour l’écholocalisation
À l’inverse de ces sons gutturaux, ce sont des sons à plus haute fréquence (de 10 à 95 kHz en moyenne) que les chauves-souris utilisent pour l’écholocalisation : une fois la nuit tombée, elles émettent des appels très courts et à très haute fréquence, puis écoutent les échos réfléchis par les objets environnants pour trouver et capturer des insectes. « Une chauve-souris peut déterminer la forme, la taille et la texture des objets qui lui font écho en quelques millisecondes », précise Jakobsen. Certaines espèces de chauves-souris sont capables d’émettre des sons à une fréquence fondamentale de 250 kHz !
Les chercheurs ont découvert, qu’ici encore, les chauves-souris font appel à des structures laryngées bien spécifiques : des membranes vocales extrêmement fines, capables de vibrer de façon autoentretenue à des cadences extrêmement élevées. Pour assurer une capture précise du mouvement rapide de ces membranes, l’équipe a filmé leur mouvement à des fréquences d’images allant jusqu’à 250 000 ips !
Les humains étaient eux aussi dotés de ces membranes autrefois, mais celles-ci, du fait qu’elles n’étaient d’aucune utilité, ont disparu au cours de notre évolution. Ce n’est pas le cas des chauves-souris, dont le larynx semble avoir bénéficié de nombreuses adaptations au cours du temps : une musculature laryngée hypertrophiée, une grande membrane cricothyroïdienne et des cartilages cricoïde et thyroïdien calcifiés.
Ces adaptations morphologiques sont le résultat d’une sélection pour produire des appels d’écholocation à haute fréquence et rapides pour attraper des proies en mouvement rapide. « Les différentes pressions de sélection pour l’écholocation et la communication sociale ont facilité l’évolution de structures laryngées distinctes qui, ensemble, ont considérablement élargi la gamme vocale des chauves-souris », résument les chercheurs dans PLOS Biology.