Dans une nouvelle étude, des chercheurs de l’University College London ont testé les effets d’un anti-inflammatoire, l’hydrocortisone — couramment utilisée notamment pour traiter la polyarthrite rhumatoïde — sur les patients susceptibles de développer un trouble du stress post-traumatique. Une dose de 30 mg prise immédiatement après un événement traumatisant semble contribuer à limiter la résurgence de mauvais souvenirs, du moins dans certaines conditions.
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) sont des troubles psychiatriques qui surviennent après avoir été victime ou témoin d’un événement traumatisant (menace de mort, accident, agression, catastrophe naturelle, etc.). Selon l’Inserm, ces troubles peuvent devenir chroniques dans 20% des cas, impactant sérieusement la vie personnelle, sociale et/ou professionnelle de ceux qui en souffrent. Les TSPT se manifestent par des troubles de l’humeur, des flashbacks soudains faisant revivre l’événement, un évitement de tout ce qui peut être en rapport avec cet événement, ou encore une hypervigilance.
La plupart du temps, les TSPT apparaissent immédiatement après le drame, mais certains n’apparaissent que quelques jours, voire plusieurs mois ou années plus tard. Pour limiter ces troubles, une aide immédiate peut être apportée par des psychiatres ou psychologues ; à plus long terme, des psychothérapies de type cognitivo-comportementales ou EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) peuvent être recommandées. Les traitements médicamenteux reposent, quant à eux, essentiellement sur des antidépresseurs ou des anxiolytiques, qui ont une efficacité limitée.
Objectif : empêcher la formation de souvenirs intrusifs
Face à l’importante charge mondiale de morbidité associée aux TSPT et aux traitements actuels qui ne sont pas toujours efficaces (quand ils ne sont pas inaccessibles), la recherche s’efforce de développer des stratégies de prévention. Une approche prometteuse pour prévenir leur apparition consiste à empêcher la formation de souvenirs intrusifs. « La persistance de souvenirs pénibles, involontaires ou « intrusifs » est une caractéristique essentielle du TSPT. Contrairement à d’autres troubles psychologiques, l’apparition d’un TSPT causé par un seul traumatisme peut être reliée de manière fiable à la survenue d’un événement spécifique, souvent mortel, qui génère des souvenirs intrusifs durables », explique Vanessa Hennessy, première auteure de l’étude.
Les symptômes de reviviscence des événements (flashbacks) surviennent parce que les processus biochimiques impliqués dans la formation de la mémoire ordinaire sont en quelque sorte « détournés » par l’événement traumatisant, ce qui entraîne des souvenirs anormalement forts, explique à PsyPost Sunjeev Kamboj, professeur de psychologie clinique translationnelle à l’UCL et co-auteur de l’étude. Ce renforcement des souvenirs intervient dans les heures ou les jours qui suivent l’événement, il est donc en théorie possible d’utiliser des médicaments pour bloquer les mécanismes impliqués dans la formation de ces souvenirs.
Or, plusieurs recherches antérieures ont montré que des niveaux élevés de glucocorticoïdes — en particulier, le cortisol, l’hormone du stress — étaient associés à un moindre risque de TSPT chez les patients ayant subi un événement traumatisant. L’hydrocortisone — qui n’est autre que le nom du cortisol lorsqu’il est délivré sous forme de médicament — apparaissait ainsi comme un médicament à tester en tant que stratégie de prévention.
Les chercheurs ont donc testé en double aveugle cette hormone sur 120 volontaires, de jeunes adultes en bonne santé, âgés de 18 à 35 ans ; ces personnes ont été invitées à visionner une vidéo bouleversante, conçue à partir de scènes tirées du film Irréversible (Gaspar Noé, StudioCanal, 2002). Quelques minutes après, elles ont reçu une dose de 30 mg d’hydrocortisone ou un placebo.
Une efficacité qui dépend du sexe et du taux d’hormones sexuelles
L’expérience s’est déroulée sur 8 jours au total, le film ayant été visionné le 1er jour. Pendant les deux premières heures qui ont suivi le film, les participants étaient équipés d’un appareil portatif, sur lequel ils devaient appuyer dès lors qu’un souvenir intrusif lié au film refaisait surface ; les jours suivants, ils devaient tenir un journal dans lequel ils enregistraient ces souvenirs.
Comme attendu, les souvenirs intrusifs se sont faits moins fréquents au fil des jours pour tous les participants, mais l’équipe a constaté que les 60 personnes ayant reçu le médicament semblaient avoir « oublié » ces images traumatisantes plus rapidement que les personnes du groupe sous placebo. L’effet était perceptible dès le second jour, au cours duquel les souvenirs étaient déjà plus rares dans le groupe hydrocortisone que dans le groupe placebo.
Les chercheurs ont également constaté que les hommes et les femmes réagissaient différemment au médicament, en fonction des niveaux d’hormones sexuelles présentes dans leur organisme. Par exemple, les hommes qui affichaient un taux élevé d’œstrogènes semblaient avoir moins de souvenirs perturbants une semaine après avoir regardé les vidéos. En revanche, les femmes ont montré l’effet inverse : après avoir reçu une dose d’hydrocortisone, des niveaux élevés d’œstrogènes semblaient les rendre plus sensibles aux mauvais souvenirs involontaires. L’équipe a rapporté un effet similaire, quoique moins prononcé, pour la progestérone.
Bien que certaines conditions hormonales spécifiques rendent l’hydrocortisone potentiellement nocive — et bien que le traumatisme induit par le film ne reflète pas exactement le phénomène observé lors de réels traumatismes —, sa capacité à accélérer le processus d’oubli des souvenirs intrusifs pourrait aider à concevoir des traitements plus ciblés pour les hommes et les femmes atteints de TSPT, basés sur des profils hormonaux individuels.
D’autres expérimentations, à plus grande échelle, seront menées pour confirmer ces effets. Un autre essai clinique en double aveugle, randomisé et contrôlé par placebo est en cours à l’hôpital Mount Sinai de New York et à l’hôpital de Tel Hashomer, en Israël : 220 survivants de « vrais » traumatismes seront invités à participer à cet essai ; certains recevront une dose de 180 mg d’hydrocortisone. Les résultats préliminaires seront disponibles à la mi-2023.