Suite à des décennies de recherches, il est communément admis que le chien domestique (Canis familiaris) descend d’ancêtres loups (Canis lupus). Cependant, la chronologie exacte de la transition du loup vers le chien n’est pas encore précisément connue et fait encore l’objet de nombreux débats chez les scientifiques. Aujourd’hui, les technologies de séquençage d’ADN offrent une nouvelle dimension à l’archéopaléontologie, en permettant de fournir plus de précision sur cette transition loup-chien. Une nouvelle étude parue dans Science Direct a dans ce sens permis de dater l’os canin d’Eralla (Espagne) entre 17 410 et 17 096 ans et de l’identifier comme appartenant à un chien. Cet os est ainsi le plus ancien découvert à ce jour en Europe, et suggère que le loup aurait évolué vers le chien beaucoup plus tôt qu’on le pensait jusqu’ici. Leur domestication serait donc également survenue plus tôt.
Bien que l’origine géographique et chronologique de l’évolution du loup vers le chien soit encore sujette à débat, les scientifiques s’accordent au moins sur un point : le chien serait le premier animal domestiqué par l’Homme. De cette domestication précoce serait née une relation millénaire de complicité entre l’homme et l’animal, perpétuée jusqu’à aujourd’hui.
Si certaines études suggèrent que les deux espèces (le loup et le chien) ont commencé à se diviser génétiquement il y a au moins 100 000 ans, il est plus généralement accepté que cette divergence et la domestication aient commencé il y a entre 40 000 et 15 000 ans, des os de loups possédant des traits de chiens ayant été trouvés et datés durant cette période. Il serait également possible que ce processus d’évolution génétique soit apparu par l’auto-domestication des chiens, à mesure qu’ils se seraient adaptés et attachés aux conditions auprès de l’homme.
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Cependant, l’état de conservation des ossements retrouvés entrave grandement la précision des datations, tellement que certaines études sur l’évolution du chien se contredisent. Une étude parue en 2016 avait en effet supposé que la domestication du chien se serait effectuée en deux phases distinctes, tandis qu’une autre, un an plus tard, suggérait le contraire.
Avec l’avènement du séquençage d’ADN, les avis des généticiens ont également contribué à une certaine confusion chronologique. Toutefois, de solides preuves génétiques ont révélé que les ancêtres de tous les chiens modernes se seraient génétiquement divisés il y a près de 40 000 ans, en deux populations distinctes : une qui a donné naissance aux races d’Asie de l’Est et une autre qui est à l’origine des races d’Europe, d’Afrique, d’Asie du Sud et centrale.
D’un autre côté, si l’on pensait que les plus vieux os de chiens jamais découverts dataient du Paléolithique supérieur d’Europe occidentale (entre 17 000 et 12 000 ans), la nouvelle étude, de l’Université du Pays basque, suggère que l’humérus canin découvert dans les grottes d’Eralla (Zestoa, Gipuzkoa) serait âgé de plus de 17 000 ans. Exhumé en 1985, l’humérus quasiment complet n’avait notamment pas pu être identifié. Grâce à la génétique, les chercheurs de la nouvelle étude ont révélé qu’il s’agissait bel et bien d’un chien, et de ce fait le plus vieil os de chien découvert (en Europe) par la recherche moderne.
Une lignée de chiens magdaléniens
Les données contradictoires recueillies sur l’évolution du chien seraient en partie les résultats des limites de l’identification morphologique. Mais comme l’ADN subit facilement les ravages du temps et n’est que très rarement conservé, les archéologues se voient souvent obligés de s’en tenir aux formes des os. Or, il peut ainsi y avoir des erreurs, car les loups auraient pu posséder une plus grande diversité morphologique par le passé, dépendant potentiellement de la région.
Les longues années d’expérience en matière d’identification morphologique, appuyées par le séquençage d’ADN et la datation au radiocarbone, ont permis une découverte significative, en donnant un âge de 17 410-17 096 ans au chien d’Eralla. Cela signifie que ce chien aurait vécu à l’époque magdalénienne du Paléolithique supérieur (une civilisation qui a prospéré il y a 17 000-12 000 ans), ce qui en fait l’un des chiens domestiques connus les plus anciens à avoir existé jusqu’à présent sur le continent européen.
De plus, il partagerait une lignée mitochondriale avec d’autres chiens magdaléniens découverts en Gironde et à Bonn-Oberkassel, respectivement âgés de 15 114 à 14 237 ans et de 14 809 à 13 319 ans. L’origine de cette lignée de chiens coïnciderait étroitement avec une période glaciaire, sévissant en Europe il y a environ 22 000 ans.
« Ces résultats soulèvent la possibilité que la domestication du loup se soit produite plus tôt que prévu, du moins en Europe occidentale », explique Concepción de-la-Rúa, responsable du groupe Biologie évolutive humaine à l’Université du Pays basque et co-auteure principale de la nouvelle étude. Selon l’experte, l’époque serait liée à une possible interaction de chasseurs-cueilleurs paléolithiques avec des espèces animales sauvages, telles que le loup. Cette rencontre aurait pu en effet être stimulée au niveau des zones de refuge glaciaire (comme le Franco-Cantabrien), pour la survie en conditions rudes.