La prise en charge des troubles du spectre autistique ne consiste plus aujourd’hui à faire en sorte que les patients se conforment le plus possible aux normes neurotypiques. Chaque cerveau est unique et chacun peut être heureux à sa manière. La neurodiversité est de plus en plus valorisée et il apparaît que les objectifs des thérapies, tout comme les mesures de réussite de ces thérapies, ont été révisés en ce sens.
Les troubles du spectre autistique (TSA) touchent aujourd’hui un grand nombre de personnes dans le monde (près d’une personne sur 160, selon l’Organisation mondiale de la santé). Ces troubles sont caractérisés par une altération plus ou moins prononcée du comportement social et de la communication. Ils se manifestent également par des activités, des comportements et des réactions atypiques. Les capacités et les besoins des personnes atteintes d’un TSA sont très variables, certaines étant tout à fait autonomes alors que d’autres peuvent présenter un ou plusieurs handicaps nécessitant un soutien permanent.
De nombreuses interventions sont mises en œuvre dès la petite enfance pour optimiser le développement, le bien-être et la qualité de vie des personnes avec un TSA. Comme le souligne un article de Scientific American, il y a dix ans encore, ces interventions visaient essentiellement à éliminer les comportements propres à ces troubles : on entraînait les enfants à avoir des interactions sociales, à maintenir un contact visuel avec leur interlocuteur, à cesser tout comportement répétitif, etc. L’objectif — le plus souvent inatteignable — étant de faire en sorte que ces enfants atypiques ressemblent le plus possible aux neurotypiques. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et les choses ont bien changé.
Des efforts inutiles pour se conformer à des comportements neurotypiques
« Nous avons cessé de considérer l’autisme comme une condition qui doit être éliminée ou corrigée pour penser à l’autisme comme faisant partie de la neurodiversité qui existe dans l’ensemble de l’humanité », a déclaré à Scientific American Geraldine Dawson, chercheuse en psychologie du développement et de l’enfant et directrice du Duke Center for Autism and Brain Development de Durham, en Caroline du Nord. Ces collègues et elle ont récemment publié un point de vue sur le sujet dans la revue JAMA Pediatrics. Ils se sont notamment interrogés sur la façon dont les professionnels pouvaient soutenir au mieux les personnes autistes et sur la façon de mesurer les progrès des patients lors des essais cliniques.
Il faudrait, selon eux, commencer par cesser d’insister sur le fait que les personnes autistes se comportent d’une manière qui n’est pas « naturelle » aux yeux de la société. « La perspective de la neurodiversité postule que chaque personne a un cerveau unique et une combinaison unique de traits et de capacités et affirme que de nombreux défis auxquels sont confrontées les personnes autistes proviennent d’un manque d’adéquation entre les caractéristiques des personnes autistes et les attentes et préjugés de la société », écrivent-ils.
L’équipe ajoute que de plus en plus de parents expriment des réserves quant à l’inscription de leur enfant dans des programmes d’intervention précoce, craignant que ces programmes ne valorisent pas la neurodiversité et donnent plutôt la priorité à la modification du comportement de leur enfant pour qu’il corresponde aux normes neurotypiques. « Il n’est pas rare que les parents d’enfants et d’adolescents d’âge scolaire se demandent si nos approches d’intervention favorisent un fort sentiment d’identité positive en tant que personne autiste et favorisent les compétences d’autonomie sociale », soulignent-ils dans un article annexe à leur étude.
Sans compter qu’une étude publiée en 2018 dans Molecular Autism a révélé que le « camouflage » des TSA et les besoins de soutien non satisfaits étaient associés à un risque accru de suicide chez les personnes autistes. En outre, les efforts que doit réaliser le patient pour se conformer à ce que l’on attend de lui détourne sa charge cognitive des choses plus importantes. « Si vous êtes constamment en train de surveiller où pointent vos yeux et de vous demander si vous ne parlez pas trop des choses qui vous intéressent, tout cela représente une énergie et une charge cognitive qui ne sont pas dépensées ailleurs », explique Ari Ne’eman, atteint du syndrome d’Asperger et cofondateur de l’Autistic Self Advocacy Network.
Des objectifs qui reposent sur les capacités et les souhaits du patient
Revoir les objectifs thérapeutiques apparaît donc aujourd’hui indispensable. La priorité n’est plus de transformer les personnes autistes en ce qu’elles ne sont pas, mais bien de les aider à s’intégrer au mieux dans une société qui n’est pas conçue pour eux, afin qu’elles soient aussi autonomes, heureuses et productives que possible, « comme tout être humain », résume Dawson. Pour ce faire, les spécialistes, tout comme les personnes souffrant d’un TSA et leurs proches, sont aujourd’hui porteurs d’un « mouvement pour la neurodiversité », qui vise à faire en sorte que la voix des personnes autistes soit représentée dans les décisions relatives à la recherche, aux politiques et aux pratiques cliniques sur l’autisme.
À noter que les nouvelles tendances thérapeutiques n’impliquent pas la suppression de toute intervention auprès des jeunes enfants ayant reçu un diagnostic de TSA : celles-ci demeurent essentielles pour remédier aux difficultés de communication et d’établissement de relations sociales, tout comme pour réduire les comportements néfastes pour le patient lui-même ou ses proches (automutilation, comportements agressifs ou crises de colère).
La différence est simplement que le résultat qui sera jugé « optimal » doit dépendre avant tout des capacités et des souhaits du patient et de sa famille — et non plus d’une liste de critères de conformité au comportement neurotypique. Ainsi, les comportements atypiques inoffensifs (tels que l’absence de contact visuel ou les mouvements de balancier, par exemple), ne seront plus une priorité. C’est simplement la façon d’être de ces personnes. « Je pense que notre société devrait accepter différentes façons d’être dans le monde », a déclaré Dawson.
« [Les personnes souffrant d’un TSA] peuvent être très heureuses. Elles peuvent travailler. Tout dépend de la façon dont vous définissez le succès dans votre monde », ajoute Connie Kasari, chercheuse spécialiste de l’autisme à l’Université de Californie, à Los Angeles.