Cela fait des années que les scientifiques cherchent le moyen de parcourir des années-lumière en un temps « raisonnable », de l’ordre d’une vie humaine. Une équipe de l’Université McGill au Canada et de la fondation Tau Zero aux États-Unis propose dans Frontiers in Space Technologies une approche directement inspirée du vol des oiseaux de mer. Leur technique permettrait à un vaisseau d’atteindre des planètes comme Jupiter en quelques mois seulement.
« En examinant la puissance dont dispose la civilisation et la fraction qui pourrait être consacrée aux vols spatiaux, on peut affirmer que le lancement d’un vaisseau spatial de classe Voyager vers α-Centauri, avec des temps de transit comparables à une vie humaine, ne sera pas réalisable avant le 25e siècle », notent les chercheurs. Ainsi, envisager un voyage interstellaire nécessite de réussir à exploiter des sources d’énergie disponibles dans l’espace pour la propulsion. Le vent de particules chargées provenant du Soleil est rapidement apparu comme une source potentielle et plusieurs prototypes de voiles solaires sont actuellement à l’étude.
La tâche n’est pas si évidente : pour capter un maximum de photons solaires, ces voiles doivent s’étendre sur plusieurs mètres ; le matériau qui les compose, de même que la forme de la voile, doivent être pensés de manière à ce que chaque frappe de photon puisse être efficacement convertie en énergie de mouvement — le tout devant bien entendu être le plus robuste et le plus léger possible. Mais ça ne serait pas encore suffisant. « Même la voile solaire la plus extrême, lancée depuis la proximité du Soleil en utilisant les matériaux à la température la plus élevée et à la densité surfacique la plus faible, ne serait capable d’atteindre que 2% de la vitesse de la lumière », soulignent les chercheurs. Cela signifie qu’il faudrait encore plusieurs siècles pour atteindre l’étoile plus proche.
Objectif : dépasser la vitesse du vent solaire
Plusieurs concepts ont été envisagés : la voile magnétique, la voile électrique et l’aimant à plasma. La voile magnétique (MagSail) consisterait en une boucle de câble supraconducteur qui générerait une magnétosphère artificielle, déviant le flux de particules du vent solaire et communiquant une force de réaction respective au câble. Mais les chercheurs expliquent qu’elles ne pourraient pas dépasser la vitesse du vent solaire (soit environ 700 km/s). La voile électrique (E-sail) ne nécessite pas de câble supraconducteur et repose sur des fils chargés à haute tension pour dévier les particules chargées.
L’aimant à plasma utilise une antenne polyphasée à bord du vaisseau pour générer des courants dans le milieu environnant, créant ainsi une structure magnétique qui se gonfle par auto-répulsion jusqu’à ce que la pression magnétique soit équilibrée par la pression dynamique du vent solaire. L’avantage est qu’il est capable d’interagir avec un énorme volume de vent solaire avec une antenne de quelques mètres seulement et de modestes besoins en puissance.
Mais il existe une technique qui permettrait à un véhicule interagissant avec le vent solaire de dépasser sa vitesse : le dynamic soaring ou vol de gradient, une technique pratiquée par les oiseaux de mer, qui consiste à traverser à plusieurs reprises la frontière séparant des masses d’air se déplaçant à différentes vitesses. Un tel gradient de vitesse du vent se forme généralement près de la surface ou autour des obstacles. Cette technique de vol permet à certains oiseaux de parcourir des milliers de kilomètres en utilisant très peu d’énergie.
En recourant à cette technique, des amateurs de planeurs télécommandés ont atteint des vitesses dépassant 850 km/h, soit environ 10 fois la vitesse du vent, avec des planeurs dépourvus de propulsion embarquée. « En s’inspirant des manœuvres pratiquées par les oiseaux de mer et les pilotes de planeurs radiocommandés, nous montrons qu’un véhicule de vol interagissant avec deux régions de vent différentes peut extraire de l’énergie du cisaillement du vent et accélérer à des vitesses supérieures à celles du vent », a écrit l’équipe sur Twitter.
0,5% de la vitesse de la lumière en un mois !
Plusieurs structures du système solaire offrent des gradients de vent suffisamment importants pour permettre des manœuvres de ce type : le choc terminal (où le vent solaire passe du supersonique au subsonique), l’héliopause, le vent solaire lent et rapide (de 300 à 750 km/s) et la limite de la magnétosphère planétaire.
L’équipe a simulé le cas du vol de gradient au niveau du choc terminal, où les vitesses en amont et en aval sont supposées être de 650 km/s et 162 km/s : après 1,6 an d’accélération, l’engin spatial atteindrait une vitesse de 6 × 106 m/s, soit environ 2% de la vitesse de la lumière (et sans consommer d’ergols). En planant le long du vent solaire lent et rapide, l’accélération est encore plus impressionnante : 0,5% de c en un mois seulement !
Pour réaliser ce vol, les chercheurs présentent un concept d’« aile magnétohydrodynamique », une sorte d’aile génératrice de portance, mais sans structure physique (aucune masse de réaction embarquée n’est utilisée). Cette aile pourrait être réalisée via deux aimants à plasma placés le long d’une antenne sur plusieurs mètres de long. Le champ créé par les aimants pourrait interagir avec les flux de vent solaire dans différentes directions — tout comme les oiseaux utilisent la turbulence du vent pour créer une portance.
« Dans ce concept, la portance est générée en extrayant de l’énergie dans une direction (dans la direction du milieu qui souffle sur l’engin spatial) et en accélérant le flux dans l’autre direction (perpendiculaire) », précisent-ils. Les allers-retours jusqu’aux confins de notre système solaire ne seront cependant pas pour demain ; plusieurs décennies de recherche seront sans doute nécessaires pour étudier la faisabilité de cette approche.
« Le développement du concept d’interaction avec le vent solaire comme moyen de propulsion nécessitera une validation expérimentale par étapes, dont la première serait la démonstration d’une traînée significative contre le vent solaire en utilisant une structure magnétique pour la propulsion. L’aimant à plasma semble être le plus performant en termes d’accélérations […], de sorte qu’une démonstration de la technologie de l’aimant à plasma semble être la prochaine étape logique », concluent les chercheurs.