Après les percées récentes et consécutives dans le monde de la fusion nucléaire, dont la dernière a permis de produire plus d’énergie que celle fournie pour démarrer la réaction, les scientifiques et les politiques voient leurs espoirs énergétiques décuplés. C’est pourquoi le département de l’Énergie des États-Unis envisage le financement prochain de la première centrale à fusion au monde, capable de reproduire l’un des processus nucléaires du soleil. Le processus de sélection des candidats potentiels est enclenché et l’usine devrait être opérationnelle en 2030.
Récemment, une réaction de fusion historique a été produite, ont annoncé le département de l’Énergie des États-Unis (DOE) et l’Administration nationale de la sécurité nucléaire (NNSA) du DOE, avec la réalisation de l’allumage par fusion au Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL). Il s’agit d’une percée scientifique majeure résultant de plusieurs décennies de travail, qui ouvre potentiellement la voie vers un avenir d’énergie propre.
En effet, le 5 décembre, une équipe du National Ignition Facility (NIF) du LLNL a mené la première expérience de fusion contrôlée atteignant le seuil de rentabilité énergétique scientifique, ce qui signifie qu’elle a produit plus d’énergie à partir de la fusion que l’énergie laser utilisée pour l’entraîner. Pour rappel, la fusion nucléaire est le processus par lequel deux noyaux légers se combinent pour former un seul noyau plus lourd, libérant une grande quantité d’énergie, à des températures et des pressions similaires à celles du cœur des étoiles et des planètes géantes.
Cet évènement fait suite à une autre découverte majeure dans le monde de la fusion, l’utilisation de champs magnétiques spécifiques visant à améliorer l’efficacité. Dans une technique appelée fusion par confinement inertiel (ICF) — où les lasers amorcent la réaction nucléaire —, les chercheurs du NIF ont démontré qu’un champ magnétique adéquat améliore le « chauffage » maintenant le combustible à température suffisamment longtemps, permettant ainsi de produire beaucoup plus d’énergie.
À la suite de ces deux percées majeures, le département de l’Énergie des États-Unis se voit confronter à un dilemme, choisir où investir pour essayer de transformer cette nouvelle technologie « de laboratoire » en une version commercialement exploitable, avec le développement d’une usine de fusion pilote.
L’heure du choix dans un contexte politique en suspens
Le 15 décembre se sont achevées les demandes de subventions des entreprises privées pour développer leur propre concept d’usine à fusion nucléaire à grande échelle, qui pourrait fournir au moins 50 mégawatts d’électricité au réseau américain. Le financement est soutenu par une autorisation de 50 millions de dollars du Congrès dans la loi sur l’énergie de 2020, rapporte un article d’E&ENews. Pas moins de 15 dossiers sont à l’étude.
Soutenue par le comité consultatif des sciences de l’énergie de fusion du DOE, ainsi que par un comité d’experts des National Academies of Sciences, Engineering and Medicine, la stratégie de l’usine pilote permettrait de persuader les services publics américains que la technologie est scientifiquement possible et mérite des investissements futurs massifs.
Selon un haut responsable du DOE, cité dans l’article, l’objectif est « avec un peu de chance de permettre à une centrale à fusion pilote d’être mise en service au début des années 2030 ».
Si les gagnants sont en mesure de respecter une série d’étapes techniques et scientifiques de plus en plus rigoureuses, montrant qu’ils peuvent résoudre les défis d’ingénierie difficiles restants, ils pourraient être admissibles aux 415 millions de dollars de subventions de recherche, si le Congrès s’approprie la totalité du montant.
Ils seraient également en mesure de former des partenariats avec les laboratoires nationaux du DOE dans le cadre du programme. Mais seules quelques applications de conception d’usines pilotes devraient être choisies, a déclaré le PDG de la Fusion Industry Association, Andrew Holland, durant l’interview.
Des fonds « modestes » dans un contexte politique tendu
En matière de politique pure, le moment est difficile, car les républicains sont sur le point de prendre le contrôle ténu de la Chambre et s’engagent à parcourir les subventions du DOE pour rechercher « le prochain Solyndra », faisant référence à une société solaire soutenue par l’administration Obama qui a ensuite fait faillite. Les républicains ont toujours voté contre les projets énergétiques de type fusion.
C’est pourquoi la secrétaire à l’Énergie, Jennifer Granholm, explique que le DOE considérera tous les candidats, sans favoris. Elle ajoute : « Nous examinons simplement les meilleures propositions qui arrivent. J’espère que nous aurons une décision au début de la nouvelle année », avant que la Chambre ne change de bord politique.
De plus, Wayne Solomon, vice-président de l’énergie de fusion magnétique de General Atomics, souligne qu’un partenariat secteur privé-gouvernement devra couvrir non seulement le financement, mais créer l’environnement réglementaire et le soutien public nécessaires. En effet, selon lui, le financement fédéral actuel « est relativement modeste. Mais on s’attend à ce que le programme se développe très considérablement ».
D’ailleurs, en mars dernier, la Maison-Blanche a organisé un sommet pour chercher à accélérer les efforts de fusion commerciale. Tammy Ma, qui dirige un effort de recherche au Lawrence Livermore National Laboratory, explique dans un article du New York Times : « Développer une approche économiquement attrayante de l’énergie de fusion est un grand défi scientifique et technique. Un tel programme nécessitera inévitablement la participation de toute la communauté », y compris les universités, les start-ups et les services publics, en plus des laboratoires nationaux comme Livermore.
Les éléments de l’usine pilote sont déjà entre nos mains
Pour rendre compte de la percée récente dans le domaine de la fusion et de nos capacités réelles à créer une usine pilote, Steven Cowley, directeur du Princeton Plasma Physics Laboratory du DOE dans le New Jersey, a comparé l’expérience de fusion aux tentatives d’un campeur d’allumer un feu.
Dans des expériences remontant à des décennies, les chercheurs ont essayé « d’allumer le petit bois » afin d’embraser les bûches et de démarrer le feu. Cette fois — en augmentant la puissance du tir laser et en apportant d’autres modifications à l’expérience —, « l’allumette a enflammé le petit bois », mais également les bûches, pour rester dans l’analogie, ne serait-ce que pour quelques milliardièmes de seconde.
Ainsi, un réacteur à fusion à grande échelle devrait non seulement produire une réaction momentanée, mais s’appuyer sur des composants durables et des systèmes fiables capables de produire de l’énergie de manière continue.
Comme le rapporte E&ENews, Kathryn McCarthy, une scientifique du Laboratoire national d’Oak Ridge, s’exprimant à la Maison-Blanche lors d’une conférence sur la fusion en avril, déclarait : « Ce n’est pas simple une fois que vous avez réalisé la fusion comme nous l’avons fait, de passer à la fusion commerciale. Mais nous avons les outils pour le faire [et] les matériaux pour une usine pilote américaine ».
En effet, General Atomics, basé à San Diego, a annoncé en novembre un programme de conception, de construction et d’exploitation d’une usine pilote. Brian Grierson, directeur du Fusion Pilot Plant Hub chez General Atomics déclare dans un article du San Diego Union Tribune : « C’est vraiment la prochaine étape, sortir de la phase de recherche et développement de la science de la fusion et mettre ces connaissances et cette expérience sur la voie d’une utilisation commerciale ».
Sans compter que de nombreux investisseurs lèvent des fonds pour des projets similaires, à l’image de Jeff Bezos. L’année dernière, avec d’autres, il a rassemblé 130 millions de dollars destinés à la start-up canadienne General Fusion, afin d’aider à développer un réacteur commercial.