L’eau est un élément indispensable à la vie sur Terre. Son origine fait toujours l’objet de débats au sein de la communauté scientifique. Dans une nouvelle étude, deux chercheurs montrent à partir de données isotopiques que l’eau était présente dès le début de la formation de notre système solaire : une partie de cette eau se serait retrouvée sur notre planète et serait donc âgée de 4,5 milliards d’années.
L’eau serait en fait omniprésente dans les disques protoplanétaires. « Des études récentes sur le contenu en eau des premiers systèmes planétaires en formation similaires au nôtre montrent que l’eau est une molécule abondante et omniprésente, initialement synthétisée à la surface de minuscules grains de poussière interstellaire par l’hydrogénation de l’oxygène gelé », écrivent les chercheurs dans la revue Elements. Au sein du nuage moléculaire qui donnera naissance à un nouveau système planétaire, l’oxygène se fixe et gèle sur les grains de poussière qu’il rencontre. Dès qu’une molécule d’hydrogène croise, à son tour, cet oxygène gelé, de la glace d’eau se forme.
La réaction peut alors former deux types d’eau : de l’eau ordinaire, composée d’oxygène et d’hydrogène, ou de l’eau lourde, composée d’oxygène et de deutérium — un isotope de l’hydrogène dont le noyau comporte un proton et un neutron. La formation de glace d’eau autour des grains de poussière est la première étape du processus, que les chercheurs désignent sous le nom de « phase froide ». Au fil du temps, de la matière s’agglutine au centre de la nébuleuse et une force de gravité commence à s’exercer. Du fait de l’élévation de température qui en résulte tout autour du centre — une région que les experts nomment le hot corino — la glace se change en vapeur d’eau. L’eau devient alors la molécule la plus abondante dans cette zone.
Un processus en quatre étapes
« Un hot corino typique contient environ 10 000 fois l’eau des océans de la Terre », écrivent les deux auteurs — Cecilia Ceccarelli, astronome italienne de l’Institut des sciences planétaires et d’astrophysique de Grenoble et Fujun Du, astronome au Purple Mountain Observatory à Nanjing, en Chine. Cette étape de sublimation de la glace en vapeur constitue la deuxième phase du processus que les chercheurs nomment « phase protoétoile ».
Cette protoétoile n’a pas encore entamé ses réactions de fusion, mais elle entre en rotation ; le gaz et la poussière environnants forment alors ce que l’on appelle un disque protoplanétaire, d’où seront issus les différents objets de ce nouveau système. La jeune étoile continue d’agréger de la masse, mais elle génère encore peu de chaleur ; le disque protoplanétaire est encore froid, explique Universe Today. Se produit alors la troisième phase du processus : la vapeur d’eau produite lors de la deuxième phase se recondense dans les parties les plus froides du disque protoplanétaire ; les grains de poussière sont à nouveau recouverts de manteaux glacés.
À partir de ces grains de poussière entourés d’eau gelée, le système planétaire prend forme peu à peu : des planètes, des comètes et des astéroïdes apparaissent et tournent autour de leur étoile. C’est ainsi que la Terre est née.
La synthèse d’eau se produit donc à deux moments, dans des conditions différentes : la première fois lorsque le système n’est encore qu’un nuage froid, la seconde lorsque le disque protoplanétaire est formé. Dans notre système solaire, l’eau issue de la première synthèse est âgée de 4,5 milliards d’années. Pour déterminer l’âge de l’eau terrestre, restait à déterminer quelle proportion de cette eau s’est retrouvée sur Terre.
Une quantité d’eau lourde particulièrement élevée
Les chercheurs soulignent que le rapport isotopique de l’hydrogène est crucial pour bien comprendre l’origine de l’eau dans les corps planétaires. Lors de la phase froide, la température est extrêmement basse, ce qui entraîne un phénomène appelé super-deutération. Dans ces conditions, davantage de deutérium est introduit dans la glace d’eau.
À la naissance de l’Univers, quelques secondes après le Big Bang, la quantité de deutérium était très faible — un seul atome de deutérium pour 100 000 atomes d’hydrogène standard (ou protium). Mais dans un hot corino, de par la super-deutération qui l’a précédé, l’abondance ne suit pas ce schéma. « Dans les hot corinos, le rapport HDO/H2O n’est qu’un peu inférieur à 1/100. […] L’abondance d’eau doublement deutérée, D2O, est de 1/1000 par rapport à H2O, soit environ 107 fois plus abondante que ce qui serait estimé à partir du rapport d’abondance élémentaire D/H », précisent les auteurs de l’étude.
Les chercheurs ont montré que l’abondance d’eau lourde est une caractéristique de la première synthèse. Pour savoir quelle quantité de cette eau a atteint la Terre, ils ont comparé les valeurs du rapport de l’eau lourde et de l’eau normale, HDO/H2O, de la Terre avec celles des hots corinos d’autres systèmes en formation. Des recherches antérieures ont montré que ce rapport est environ dix fois plus élevé que le rapport D/H élémentaire dans l’Univers et par conséquent, à la naissance du système solaire.
Les chercheurs estiment qu’entre 1% et 50% de l’eau de la Terre provient de la phase initiale de la naissance du système solaire ; une fraction substantielle de notre eau est donc âgée de 4,5 milliards d’années. Cette eau est selon eux « probablement héritée » des planétésimaux, plutôt que des comètes. Le processus exact n’est toutefois pas encore clair. « La question est très complexe, car l’origine et l’évolution de l’eau sur Terre sont inévitablement liées à d’autres éléments importants sur cette planète, par exemple le carbone, l’oxygène moléculaire et le champ magnétique », écrivent-ils. Démêler la façon dont cette eau a été livrée à la Terre fera donc l’objet d’autres recherches. « La quantité d’eau lourde sur Terre est notre fil d’Ariane, qui peut nous aider à sortir du labyrinthe de toutes les routes possibles que le système solaire a pu emprunter », concluent-ils.