La réfrigération consiste à transférer la chaleur d’un système vers son environnement. Pour ce faire, on utilise généralement un fluide frigorigène dont la vaporisation absorbe la chaleur ; son usage contribue néanmoins à l’effet de serre. Des chercheurs ont donc mis au point une nouvelle technique de réfrigération, plus respectueuse de l’environnement : celle-ci repose sur l’effet « ionocalorique », un phénomène similaire à ce que l’on observe lorsque l’on ajoute du sel sur les routes verglacées l’hiver.
Les techniques de refroidissement reposent souvent sur des effets caloriques (échanges de chaleur) dans lesquels les matériaux en jeu passent par un changement d’état. Dans les réfrigérateurs domestiques par exemple, le liquide frigorifique utilisé est amené à basse pression pour entraîner son passage de l’état liquide à l’état gazeux : il s’évapore en captant la chaleur présente. Les chlorofluorocarbures (CFC), très nocifs pour l’environnement, ont été remplacés au début des années 2000 par des hydrofluorocarbures (HFC). Ces derniers n’ont pas d’impact sur la couche d’ozone, mais sont de puissants gaz à effet de serre.
Les scientifiques tentent ainsi de mettre au point des systèmes de refroidissement à haut rendement, avec des réfrigérants sûrs et à moindre impact sur le réchauffement planétaire. Dans ce contexte, des chercheurs du Lawrence Berkeley National Laboratory et de l’Université de Californie à Berkeley ont développé une technique reposant sur un autre changement de phase : ils ont découvert que les ions en solution peuvent être utilisés pour contrôler la fusion et la solidification d’un matériau, créant un cycle ionocalorique.
Une efficacité supérieure aux réfrigérants actuels
En hiver, il est courant d’ajouter du sel sur les routes pour abaisser le point de solidification (congélation) de l’eau et ainsi transformer la glace en neige fondue. Cela signifie que la température doit être plus froide pour passer de l’état liquide à l’état solide. La surface de glaçons recouverts de sel de cuisine atteint -10 °C après quelques secondes, alors que les glaçons d’eau pure restent à 0 °C.
C’est sur ce principe que repose le nouveau système de refroidissement réversible proposé par les chercheurs, qu’ils nomment « refroidissement ionocalorique ». Cette technique exploite le fait que la chaleur est stockée ou libérée lorsque le matériau change de phase (ici le passage d’un solide à un liquide et vice versa) ; la fusion absorbe la chaleur de l’environnement, tandis que sa solidification libère de la chaleur.
D’autres technologies de refroidissement basées sur l’effet calorique sont actuellement en développement (réfrigération magnéto- ou électrocalorique par exemple) et exploitent elles aussi des matériaux solides qui absorbent ou libèrent de la chaleur. Ces approches nécessitent toutefois d’appliquer des champs (magnétiques ou électriques) forts, pour un coefficient de performance relativement faible.
Le refroidissement ionocalorique se distingue par le fait que les changements de phase solide-liquide sont initiés par un flux d’ions provenant d’un sel spécifique. L’utilisation d’un liquide présente en outre l’avantage de rendre le matériau « pompable » — ce qui facilite l’entrée ou la sortie de chaleur du système, contrairement au refroidissement à l’état solide.
Selon les chercheurs, en termes de performances, cette technique peut concurrencer, voire dépasser l’efficacité des réfrigérants gazeux actuels. « Les résultats théoriques et expérimentaux montrent un changement de température adiabatique et un changement d’entropie par unité de masse et de volume plus élevés que les autres effets caloriques sous de faibles intensités de champ appliquées », écrivent-ils dans Science.
Un potentiel de réchauffement global négatif
Pour démontrer la viabilité d’un tel système de réfrigération ionocalorique, les chercheurs ont utilisé un sel à base d’iode et de sodium, ainsi que du carbonate d’éthylène — un solvant organique couramment utilisé dans les batteries lithium-ion. Le passage d’un courant dans le système entraîne un déplacement d’ions, qui modifie le point de fusion du matériau ; lorsque ce dernier fond, il absorbe la chaleur de l’environnement, et lorsque les ions sont éliminés et que le matériau se solidifie, il restitue de la chaleur.
L’expérience a montré un changement de température de 25 °C en utilisant une tension d’environ 0,22 V — soit une augmentation de température plus importante que celle démontrée par d’autres techniques.
Cette approche permettrait non seulement d’éliminer le risque que des gaz à effet de serre — utilisés dans les systèmes actuels dits à « compression de vapeur » — ne s’échappent dans l’atmosphère en les remplaçant par des composants solides et liquides, mais pourrait même induire un bilan carbone négatif ! En effet, comme le soulignent les chercheurs, le carbonate d’éthylène peut être produit en utilisant du dioxyde de carbone comme intrant — ce qui constitue une issue intéressante pour les solutions de captage de CO2.
Ils cherchent à présent à améliorer leur technique de manière à ce qu’elle puisse supporter de grandes quantités de refroidissement, à augmenter la quantité de variation de température que le système peut supporter et à augmenter l’efficacité. Ils espèrent que leur méthode mènera un jour au développement de systèmes de chauffage et de climatisation domestiques efficaces et moins énergivores que les systèmes actuels.
« Personne n’a réussi à développer une solution alternative qui rende les choses froides, fonctionne efficacement, soit sûre et ne nuise pas à l’environnement. Nous pensons que le cycle ionocalorique a le potentiel d’atteindre tous ces objectifs s’il est réalisé de manière appropriée », a déclaré Drew Lilley, assistant de recherche au Berkeley Lab et doctorant à l’UC Berkeley.
Trouver une solution qui remplace les réfrigérants actuels apparaît aujourd’hui essentiel pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique définis par l’Amendement de Kigali (accepté par 145 parties au 31 décembre 2022). Les signataires de cet accord se sont engagés à réduire la production et la consommation d’HFC d’au moins 80% au cours des 25 prochaines années.