Le Tyrannosaurus rex ( T. rex) et ses cousins théropodes, rendu populaire par la culture pop, était au sommet de la chaîne alimentaire terrestre il y a plus de 65 millions d’années. Cependant, malgré cette popularité, la physiologie de ces dinosaures recèle encore de mystères, suscitant parfois la controverse dans la communauté scientifique. Il est notamment communément admis qu’ils étaient dotés d’un minuscule cerveau. Cependant, en les « mettant à l’échelle » des oiseaux actuels, une nouvelle étude suggère le contraire et estime qu’ils étaient plutôt dotés de grands cerveaux, et d’autant de neurones que les singes. Ainsi, ils étaient donc bien plus intelligents qu’on le pensait, selon cette étude. Bien qu’il ne s’agisse encore que d’une hypothèse, déjà débattue qui plus est, la découverte pourrait potentiellement bouleverser notre compréhension de l’évolution des théropodes.
Les théropodes constituent un clade de tétrapodes bipèdes englobant la quasi-totalité des grands dinosaures carnassiers, et ancêtres de tous les oiseaux actuels. Sur la base de ce que l’on sait jusqu’ici, ils étaient de redoutables chasseurs et pouvaient mesurer près de 12 mètres de long pour 6 mètres de haut pour les plus grandes espèces. Il était jusqu’ici largement accepté qu’ils étaient dotés d’un minuscule cerveau, trônant au-dessus de leurs mâchoires disproportionnées.
La nouvelle étude, parue dans la revue Journal of Comparative Neurology, suggère le contraire et semble indiquer que l’on aurait fortement sous-estimé leur intelligence, comme nous l’avons fait autrefois avec les oiseaux. Bien que le cerveau de ces derniers soit généralement petit, proportionnellement à la taille de leur corps, de récentes études ont montré qu’ils possèdent plus de neurones par millimètre carré de cerveau que les mammifères et les primates.
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De plus, des études antérieures ont également suggéré que le T. rex avait un odorat surdéveloppé, améliorant considérablement ses capacités de prédation ou lui permettant de reconnaître ses parents à l’odeur. Comme les oiseaux, la partie de son cerveau traitant les odeurs serait démesurément développée.
La nouvelle étude, menée par une équipe de recherche de l’Université de Vanderbilt à Nashville (États-Unis), suggère que le T. rex et d’autres théropodes auraient eu plus de 3 milliards de neurones au niveau du cerveau. En nombre de neurones, cela est l’équivalent d’un cerveau de babouin, et presque l’équivalent de celui d’un gorille (plus de 4 milliards de neurones).
Capables d’utiliser des outils ?
Comme les tissus mous tels que la matière grise sont rarement conservés lors de la fossilisation, les chercheurs de la nouvelle étude se sont basés sur une mise à l’échelle par rapport aux oiseaux, les descendants des théropodes. Le nombre de neurones que possède le T. rex a ainsi été calculé selon le nombre de neurones connus des oiseaux actuels.
Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé ce que l’on appelle le « bracketing phylogénétique », une méthode d’inférence (ou de raisonnement par déduction) basée sur la position d’un organisme dans un arbre évolutif, afin de rechercher des traits que les dinosaures éteints auraient pu partager avec leurs descendants évolutifs modernes. Des mesures tomographiques comparatives de boîtes crâniennes ont également été effectuées. Des boîtes crâniennes fossilisées de T. rex ont été comparées avec celles d’oiseaux modernes comme les autruches et les émeus, ainsi qu’avec celles de lézards et de tortues.
Cependant, la difficulté était de savoir si cette proportionnalité de taille du cerveau s’applique réellement aux théropodes du genre T. rex. « Il n’y avait qu’un hic : j’avais d’abord besoin de me convaincre si les cerveaux de dinosaures pouvaient respecter les règles d’échelle des sauropsidés endothermiques (les oiseaux) ou, à la place, les règles d’échelle des sauropsidés ectothermiques (les reptiles) », écrit sur son blog Suzana Herculano-Houzel, neuroscientifique à l’Université de Vanderbilt et auteure principale de la nouvelle étude.
Pour tenter de pallier cette difficulté, les chercheurs ont décidé de considérer les théropodes en tant que groupe de dinosaures distincts, avec des traits et des caractéristiques distincts. Cette catégorisation leur a alors permis de déduire que ces dinosaures carnassiers avaient une corrélation similaire aux oiseaux entre la masse corporelle et la taille du cerveau.
Ce nombre de neurones nouvellement estimé laisse supposer qu’en plus de posséder une excellente cognition, le T. rex aurait été capable d’utiliser des outils, de développer des relations sociales et de résoudre des problèmes complexes, comme certaines espèces d’oiseaux modernes.
Ainsi, en allant plus loin, les chercheurs font l’hypothèse que les communautés de T. rex auraient eu leurs propres cultures, à l’instar des primates et des cétacés, transmises de génération en génération. Par ailleurs, ce nombre de neurones pourrait signifier qu’ils bénéficiaient d’une grande longévité, allant probablement jusqu’à 40 ans.
Des résultats controversés
Réagissant aux résultats semblant contredire des décennies de recherches, les scientifiques sont partagés. Certains experts estiment notamment que les méthodes d’analyse de la nouvelle étude ne sont pas forcément fiables, et utiliseraient des variables qui ne font pas l’unanimité chez les scientifiques. « Il s’agit essentiellement de suppositions », écrit sur Twitter Kai Caspar, un primatologue.
Cet expert remet particulièrement en cause la supposition selon laquelle les T. rex auraient été capables d’utiliser des outils. Selon lui, le nombre de neurones seul ne suffit notamment pas à déduire si une espèce est capable ou non de fabriquer et de se servir d’outils. Bien que cette capacité soit généralement considérée propre aux primates, ces derniers ne sont pas tous capables d’utiliser des outils, malgré le grand nombre de neurones. De plus, les membres supérieurs des théropodes étaient si courts et si petits que l’utilisation d’outils ne se serait probablement faite que par la bouche, comme chez les oiseaux, diminuant les probabilités que cette capacité ait vu le jour.
De plus, concernant la possibilité d’une culture propre, les comportements sociaux de certains primates ne font pas non plus l’unanimité chez les scientifiques pour être qualifiés de « culture ». La supposition serait ainsi encore plus invraisemblable chez les dinosaures.