Lutter contre le vieillissement cellulaire, outre les attraits physiques, est un gage de meilleure santé. Les années s’accumulent et les cellules sénescentes suivent, provoquant plusieurs pathologies liées à l’âge — notamment dans les poumons, le tissu adipeux, l’aorte, le pancréas et les articulations. Récemment, un groupe de chercheurs américains a mis au point une technique de rajeunissement au moyen d’ultrasons basse fréquence, testée sur des souris. Une nouvelle voie de thérapie pour améliorer la santé d’une population mondiale vieillissante.
La sénescence cellulaire, décrite pour la première fois in vitro en 1961 par Hayflick, est devenue une priorité pour les sociétés de biotechnologie la ciblant pour améliorer la santé humaine. Caractérisée par un arrêt permanent de la prolifération, la sénescence cellulaire survient en réponse à des stress endogènes et exogènes, notamment le dysfonctionnement des télomères, l’activation des oncogènes — des gènes qui participent à la régulation de la croissance et de la division cellulaires, pouvant induire la prolifération de cellules cancéreuses — et aux dommages persistants à l’ADN.
Concrètement, la sénescence est un processus par lequel une cellule vieillit et cesse définitivement de se diviser, mais ne meurt pas. Au fil du temps, un grand nombre de ces cellules anciennes peuvent s’accumuler dans les tissus de tout le corps. Ces cellules restent actives et peuvent libérer des substances nocives, susceptibles de provoquer une inflammation et d’endommager les cellules saines voisines. La sénescence peut jouer un rôle dans le développement du cancer et d’autres maladies.
En effet, les cellules sénescentes sécrètent de nombreuses molécules pro-inflammatoires, des facteurs de croissance, des chimiokines, des matrices extracellulaires, des protéases et des cytokines (regroupées sous l’acronyme SASP, pour « phénotype secrétaire associé à la sénescence »). Par conséquent, l’élimination ciblée des cellules sénescentes peut potentiellement diminuer les pathologies associées à l’âge, notamment l’arthrose, le diabète, l’ostéoporose, les maladies neurodégénératives et la durée de vie en général.
Récemment, un groupe de recherche de l’Université du Texas a mis au point une méthode s’appuyant sur les ultrasons à basse fréquence pour relancer la division cellulaire dans les cellules âgées et leur faire perdre les marqueurs de sénescence. Ainsi, une souris âgée a vu ses performances physiques s’améliorer. L’étude est publiée dans bioRxiv.
Des ultrasons pour stimuler les cellules et modérer les mitochondries
Pour démontrer le rôle des ultrasons, les auteurs ont induit chimiquement la sénescence chez des souris, puis les ont traitées sur des périodes de trois jours les cellules par l’application d’ultrasons basse fréquence. Ils ont également injecté des colorants fluorescents pour suivre l’évolution cellulaire dans les tissus adipeux, le pancréas et les reins, également dans des cultures cellulaires humaines et issues de singes.
Concrètement, les ultrasons produisent des ondes de pression de courte durée dans les cellules, appliquant des contraintes mécaniques. Ces conditions sont sans danger pour les tissus normaux et n’influencent pas négativement les fonctions des cellules normales. Les chercheurs ont utilisé des ultrasons d’une fréquence inférieure à 100 kilohertz, soit bien en dessous des 2000 kHz utilisés pour l’imagerie médicale.
Néanmoins, dans le cas des cellules sénescentes induites chimiquement, le traitement par ultrasons à basse fréquence (ou LFU) peut rétablir un comportement normal. Les cellules reprennent leur division, ne sécrètent plus de SASP, leur taille diminue, et leurs mitochondries se réduisent en longueur.
Il faut savoir que le rôle des mitochondries dans le vieillissement cellulaire est reconnu depuis longtemps. En produisant l’énergie cellulaire sous forme d’ATP, elles génèrent aussi des espèces réactives oxygénées (ERO) qui induisent des dommages macromoléculaires, dont l’accumulation perturbe l’ensemble du métabolisme cellulaire et l’intégrité du matériel génétique, deux stimuli clés de la sénescence. Récemment, la dynamique membranaire mitochondriale a aussi été impliquée dans la sénescence, parce qu’elle est indispensable à la mitophagie ou à l’élimination sélective des mitochondries altérées, en lien direct avec l’autophagie. Ainsi, l’inhibition de la fission mitochondriale est associée à l’accumulation de mitochondries géantes dans les cellules sénescentes, alors que la fusion mitochondriale inhiberait la sénescence et induirait la prolifération cellulaire.
De plus, de manière surprenante, les chercheurs ont constaté que les cellules normales traitées par LFU sécrètent des facteurs qui réactivent la division des cellules sénescentes. Ainsi, il semble que le traitement seul, par ultrasons à basse fréquence, puisse inverser les effets négatifs de la sénescence cellulaire.
Les conclusions, bien qu’optimistes, sont encore à étayer. L’étude attend l’évaluation par les pairs, sans compter qu’il serait difficile d’utiliser un tel dispositif sur l’homme — les os (bien plus épais que ceux des souris) bloquent les ultrasons. Mais cette découverte constitue un espoir pour la recherche anti-vieillissement et sur les maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer.
Une voie de recherche et d’essai clinique contre Alzheimer
D’ailleurs, une équipe de l’Université du Queensland en Australie, menée par Jürgen Götz, a découvert que les souris recevant une fréquence d’ultrasons plus élevée montrent des améliorations de la mémoire, et un petit essai est en cours pour déterminer si cela peut aider les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Le professeur Götz souligne que l’étude est une étape importante pour déterminer si les ultrasons peuvent être délivrés en toute sécurité. Elle fait suite à la découverte pionnière, publiée en 2015, selon laquelle les ultrasons pourraient éliminer l’accumulation de plaques amyloïdes toxiques — l’une des caractéristiques de la maladie d’Alzheimer, et surtout restaurer les fonctions de la mémoire.
Götz déclare dans un communiqué : « Il n’existe actuellement aucun traitement efficace pour la maladie d’Alzheimer. Il est donc extrêmement gratifiant de pouvoir à l’avenir potentiellement traiter la maladie par ultrasons ».
L’essai de 12 mois est mené à l’hôpital Mater de Brisbane et à l’UQ, supervisé par le chercheur et neurologue Peter Nestor. Ce dernier explique : « Nous traitons une zone à l’arrière du cerveau qui est affectée au début de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Chaque participant recevra quatre traitements administrés tous les quinze jours, et après avoir terminé la session, ils feront une IRM cérébrale et un test cognitif répété ».
Finalement, étant donné que les ultrasons ont été approuvés pour l’exposition humaine à des niveaux de puissance dix à cent fois supérieurs aux niveaux utilisés dans l’étude de l’Université du Texas, ses auteurs suggèrent qu’il est possible de développer des thérapies basées sur les ultrasons pouvant inhiber l’augmentation de la fraction de cellules sénescentes dans les tissus (due au vieillissement) et ainsi stopper l’apparition de nombreuses maladies liées à l’âge. Plus important encore, ces résultats démontrent que les traitements mécaniques peuvent remplacer certains traitements biochimiques, et peut-être même dans le cas d’Alzheimer.