Certaines tâches — de l’écriture manuscrite à la pratique d’un instrument de musique, en passant par la danse ou le laçage de chaussures — nécessitent d’exécuter une séquence de mouvements bien précis, dans un ordre et à des moments définis. Des études antérieures ont montré que plusieurs régions corticales sont impliquées dans l’exécution de ces séquences motrices. Des chercheurs de l’Université de Birmingham ont découvert comment ces régions « s’accordent » les unes avec les autres et éclairent la façon dont le cerveau humain se prépare à effectuer ce type de tâche.
Les séquences de mouvements habiles exécutés de mémoire sont considérées comme une caractéristique de la dextérité humaine. Elles sont à la base de nombreuses tâches quotidiennes. Dans certains cas, l’ordre des mouvements d’une séquence, de même que leur précision temporelle peut être cruciale pour le succès de la tâche. L’activité des cortex prémoteur, moteur primaire et pariétal a été associée au contrôle des séquences motrices, de leur organisation hiérarchique à leurs caractéristiques spatiales et temporelles ; les scientifiques n’ont cependant pas encore perçu comment l’ordre et la synchronisation des mouvements étaient intégrés au processus de planification et de réalisation d’une séquence.
« L’intégration de la synchronisation et de l’ordre des mouvements a été étudiée dans le contexte de l’exécution, mais nous ne savons pas actuellement si cette intégration a lieu avant le début du mouvement, ni quelles régions du cerveau détiennent ces informations sur la séquence à venir », expliquent les chercheurs dans le Journal of Neuroscience. Une nouvelle expérience menée sur 24 individus leur a permis de lever ces lacunes. Ils ont découvert que l’ordre et le timing des mouvements sont séparés par le cerveau, avant d’être combinés et transférés dans des commandes de mouvements spécifiques, ou « mémoire musculaire », lorsque la personne commence l’action.
Des informations encodées dans différentes zones cérébrales
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont recruté 24 individus droitiers et les ont entraînés à produire quatre séquences de pression à cinq doigts (chaque doigt devait appuyer sur une touche d’un clavier de transducteur de force dans un ordre bien particulier). La formation s’est effectuée sur deux jours ; les premiers essais étaient guidés visuellement, les derniers étaient effectués entièrement de mémoire.
Après l’entraînement, le troisième jour, les participants ont produit les séquences alors qu’ils étaient soumis simultanément à une IRM fonctionnelle, permettant de mesurer les schémas d’activité dans leur cerveau pendant qu’ils effectuaient la tâche. Les séquences à exécuter étaient « présignalées » 1 à 2,5 secondes avant le signal de départ, par l’apparition d’une image fractale abstraite sur un écran — ceci de manière à inciter à la planification de la séquence, sans qu’aucun mouvement ne soit exécuté. Certains essais ne comportaient d’ailleurs que ce présignalement sans qu’aucun signal de départ ne soit donné — ceci afin de bien différencier les réponses IRMf à la planification des mouvements et les schémas d’exécution.
Les chercheurs ont découvert que le séquençage de haut niveau des mouvements (comme l’ordre et le timing) peut être stocké dans plusieurs zones motrices du cerveau — souvent après plusieurs jours d’entraînement et de mémorisation de séquences d’actions — avant d’être activé à la suite d’un déclencheur particulier, tel qu’un signal musical ou un pistolet de départ.
« Ce qui est surprenant, c’est que le cerveau sépare ces compétences en leurs éléments constitutifs plutôt que de les encoder comme une mémoire musculaire intégrée, même après un entraînement intensif », souligne la chercheuse principale, la Dre Katja Kornysheva, du Centre pour la santé du cerveau humain de l’Université de Birmingham.
Un mécanisme qui permet des adaptations de dernière minute
La neuroscientifique explique que le contrôle des caractéristiques de la séquence subit un changement d’état : lorsque l’on se prépare à effectuer la tâche (planification), les données requises (relatives au moment et à l’ordre des mouvements) sont tout d’abord extraites de la mémoire où elles sont stockées séparément ; puis, elles sont recombinées dès que commence la tâche.
L’équipe suggère que ce mécanisme nous permet de rester flexibles pour d’éventuels ajustements « de dernière minute », même dans les dernières centaines de millisecondes avant d’initier le mouvement, si les exigences de la tâche changent (pour, par exemple, changer la vitesse ou le timing d’une action à venir).
Les chercheurs ont observé par ailleurs que les participants étaient relativement rapides à acquérir une séquence avec un nouvel ordre de pression des doigts lorsqu’ils étaient déjà habitués au timing, mais à l’inverse, ils avaient du mal à reproduire un même ordre en suivant un timing différent. Les résultats de l’IRMf ont montré que plusieurs régions cérébrales contrôlent le timing pendant la production du mouvement, mais qu’aucune ne semble contrôler l’ordre sans l’intégrer au timing.
« Peut-être que le contrôle du timing restant actif pendant la production permet une flexibilité même après le début du mouvement », conclut le co-auteur Rhys Yewbrey, de l’Université de Bangor.
Ces nouveaux résultats aident à mieux comprendre comment les actions qualifiées sont stockées et contrôlées dans le cerveau et ce qui les rend flexibles et résistantes aux changements de l’environnement ou aux troubles neurologiques. Cette découverte pourrait ainsi contribuer à améliorer la rééducation motrice des victimes d’accidents vasculaires cérébraux.