Les galaxies ne cessent d’évoluer au fil du temps ; elles forment de nouvelles étoiles et fusionnent les unes avec les autres à mesure que l’Univers s’étend. Étudier le mouvement des étoiles individuelles dans une galaxie permet de retracer l’histoire de ces événements « d’immigration galactique ». À l’aide du Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI), une équipe d’astronomes a observé pour la première fois des preuves d’une migration massive d’étoiles dans une autre galaxie que la nôtre.
Formées d’étoiles, de gaz, de poussière interstellaire et de matière noire, les galaxies ne cessent de croître au cours de milliards d’années. Il arrive qu’elles entrent en collision avec des galaxies voisines et fusionnent. Notre propre galaxie, la Voie lactée, montre elle aussi des signes de fusion : des études photométriques et cinématiques ont révélé que la grande majorité des étoiles du halo pourraient avoir été accrétées lors de fusions passées. En outre, elle est actuellement en train d’absorber la galaxie naine du Sagittaire. Dans plusieurs milliards d’années, elle entrera également en collision avec la galaxie d’Andromède — la galaxie spirale la plus proche.
Jusqu’à présent, des preuves de ce phénomène n’avaient toutefois jamais pu être observées en dehors de la Voie lactée. Pour la première fois, des astronomes du NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory) ont découvert les preuves d’un grand événement d’immigration galactique dans la galaxie d’Andromède. « Nos nouvelles observations de la grande voisine galactique la plus proche de la Voie lactée, la galaxie d’Andromède, révèlent les preuves d’un événement d’immigration galactique dans des détails exquis », a déclaré Arjun Dey, astronome au NOIRLab et auteur principal de l’article présentant la découverte. Il apparaît que l’histoire de cette galaxie est assez similaire à la nôtre.
Une histoire écrite dans le mouvement des étoiles
Dans une telle coalescence, on s’attend à ce que des galaxies relativement petites « tombent » dans des galaxies plus grandes et dispersent leurs étoiles dans un processus de fusion hiérarchique, expliquent les chercheurs dans The Astrophysical Journal. « Bien que le ciel nocturne puisse sembler immuable, l’Univers est un lieu dynamique. Les galaxies comme M31 et notre Voie lactée sont construites à partir des blocs de construction de nombreuses galaxies plus petites au cours de l’histoire cosmique », précise Dey.
Pour en savoir plus sur ces événements de fusion, les chercheurs ont mesuré les mouvements de plus de 7500 étoiles dans le halo interne de la galaxie d’Andromède, également connue sous le nom de Messier 31 (M31). Pour ce faire, ils se sont appuyés sur le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI), un instrument installé sur le télescope Mayall au sommet de Kitt Peak, dans le désert de Sonora, en Arizona.
Le DESI a été conçu pour cartographier des dizaines de millions de galaxies, afin de mesurer l’effet de l’énergie sombre sur l’expansion de l’Univers. C’est l’un des spectrographes les plus puissants au monde : il peut mesurer les spectres de plus de 100 000 galaxies par nuit. « Alors que la plupart des premières spectroscopies d’étoiles individuelles dans M31 avaient été réalisées avec des télescopes de classe 6,5-10 mètres, quelques heures de spectroscopie avec DESI ont considérablement enrichi notre connaissance de la cinématique stellaire du halo de M31 », notent les chercheurs. En d’autres termes, le DESI a joué un rôle primordial dans cette découverte.
À partir des données collectées — qui représentent une multiplication par plus de trois du nombre d’étoiles connues dans la région à l’extérieur du disque de M31 ! —, ils ont pu établir des modèles de mouvements stellaires qui leur ont permis de remonter jusqu’au début de la vie de ces étoiles, alors qu’elles faisaient partie d’une autre galaxie. Cette dernière a fini par fusionner avec M31, il y a environ 1 à 2 milliards d’années.
Une découverte qui éclaire l’histoire de notre galaxie
Les spectres du DESI ont révélé une structure cinématique complexe et cohérente dans les positions et les vitesses des étoiles individuelles dans le halo interne de M31. L’équipe a observé des sous-structures, « des flux, des coins et des chevrons », qui fournissent la preuve d’une fusion récente, c’est-à-dire d’un événement de migration galactique. C’est la première fois que ces structures sont cartographiées avec autant de détails et de clarté dans une galaxie au-delà de la Voie lactée.
« Nous n’avons jamais vu cela aussi clairement dans les mouvements des étoiles, et nous n’avions jamais vu certaines des structures qui résultent de cette fusion », souligne Sergey Koposov, astrophysicien à l’Université d’Édimbourg et co-auteur de l’article. L’équipe rapporte par ailleurs « un nombre important d’étoiles riches en métaux dans toutes les sous-structures détectées, ce qui suggère que la (ou les) galaxie(s) progénitrice(s) avai(en)t une longue histoire de formation d’étoiles, peut-être plus représentative de galaxies plus massives ».
Cette étude éclaire non seulement l’histoire de la galaxie d’Andromède, mais aussi celle de la Voie lactée. Les modèles complexes suivis par les mouvements des étoiles révèlent en effet une histoire d’immigration galactique très similaire à celle de la Voie lactée. « Les halos internes des deux galaxies sont dominés par des étoiles issues d’un seul événement d’accrétion », souligne l’équipe. La plupart des étoiles du halo de la Voie lactée se sont formées dans une autre galaxie — une ancienne galaxie naine nommée Gaïa-Encelade — et ont ensuite migré vers la nôtre lors d’une fusion galactique survenue il y a 8 à 11 milliards d’années.
L’équipe prévoit maintenant d’utiliser les capacités inégalées de DESI et du télescope Mayall pour explorer davantage d’étoiles périphériques de M31, afin de caractériser encore plus précisément ses sous-structures et son histoire d’immigration. Ils envisagent notamment d’identifier les galaxies naines et les amas globulaires potentiellement associés à la galaxie progénitrice.
Bien que le télescope Mayall soit en service depuis 50 ans, des mises à niveau continues et ses instruments de pointe lui permettent d’être encore aujourd’hui une installation astronomique majeure. « Avec le renouvellement et la réutilisation, un vénérable télescope comme le Mayall peut continuer à faire des découvertes étonnantes malgré sa taille relativement petite par rapport aux normes actuelles », a déclaré Joan Najita, astronome du NOIRLab et co-auteure de l’étude.