Si l’on sait à peu près comment la vie a évolué sur Terre, l’on ne connaît pas encore sa véritable origine. Des recherches ont suggéré que les éléments constitutifs de la vie ont été amenés sur notre planète par les astéroïdes qui s’y sont écrasés. Cependant, les simulations en laboratoire n’ont pas permis de confirmer cette théorie. Une nouvelle étude suggère que les conditions au sein du nuage interstellaire primitif dans lequel s’est formé notre système solaire auraient joué un rôle crucial. Ce nuage moléculaire aurait transmis en amont, aux astéroïdes, les éléments constitutifs de la vie.
Sur Terre, la vie serait apparue il y a entre 4,6 milliards d’années (lorsque le système solaire s’est formé) et 3,8 milliards d’années (date à laquelle l’on a trouvé la plus ancienne trace de vie sur notre planète). Se basant sur la découverte de molécules précurseures de la vie sur des astéroïdes primitifs, de nombreux scientifiques supposent que la vie est arrivée sur Terre grâce à ces derniers.
Ces astéroïdes — desquels sont issues les météorites de chondrite carbonée (figurant parmi les objets les plus anciens de l’Univers) — sont en effet riches en acides aminés et en amines. Ces molécules sont des composants biologiques essentiels de tous les êtres vivants sur Terre, car elles servent à former la structure des cellules et des tissus organiques.
La plupart des astéroïdes primitifs présents dans notre système solaire se situent dans la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Ces objets, ainsi que les météores qui s’en sont détachés, se seraient formés à l’aube du système solaire, il y a 4,5 milliards d’années. De ce fait, ils sont essentiellement des vestiges de la matière primitive de laquelle sont issues les planètes telluriques. Parallèlement aux planètes, ils orbitent autour du Soleil parfois durant des millions d’années avant d’entrer en collision avec la Terre.
De nombreuses études se sont penchées sur la façon dont les acides aminés se sont formés sur les astéroïdes primitifs, lors d’un processus appelé « altération aqueuse ». Cependant, les simulations en laboratoire ont indiqué que ce processus ne suffit pas à former la quantité de molécules nécessaires à l’apparition de la vie.
Dans le cadre de la nouvelle étude, des chercheurs du Southwest Research Institute de San Antonio (au Texas) suggèrent que des conditions en amont seraient indispensables pour obtenir cette quantité. Ces conditions propices auraient débuté au niveau du nuage interstellaire primitif, qui a donné naissance à notre système solaire et tous les objets qui s’y trouvent, à l’instar d’autres systèmes planétaires.
« La composition des astéroïdes est issue du nuage moléculaire interstellaire parental, qui était riche en matières organiques », explique Danna Qasim, chercheuse au Southwest Research Institute et auteure principale de la nouvelle étude. Il n’y a cependant aucune preuve de l’existence d’acides aminés dans les nuages interstellaires, mais uniquement d’amines. Des conditions très précises auraient alors pu conduire à la formation d’acides aminés, qui auraient ensuite été transmis aux astéroïdes et aux météorites.
Un nuage interstellaire transmettant des acides aminés aux astéroïdes
Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs de la nouvelle étude, parue dans la revue ACS Publications, ont simulé les conditions à l’intérieur du nuage moléculaire interstellaire primitif, afin de créer des amines et des acides aminés. Pour ce faire, ils ont irradié des amas de glace couramment présents dans les nuages interstellaires (incluant la glace d’ammoniac, de dioxyde carbone, de méthanol et d’eau) avec des protons à haute énergie. Ce « bombardement » de protons imite notamment les conditions d’irradiations cosmiques de l’espace interstellaire.
À la suite de cette irradiation, une fragmentation et une recombinaison moléculaire se sont simultanément produites. Les grosses molécules complexes (telles que l’éthylamine et la glycine) produites par cette recombinaison se sont rassemblées pour former un résidu organique, sous la forme d’un liquide visqueux. La quantité d’acides aminés obtenue ne correspondait cependant pas à celle retrouvée sur les météorites de chondrite carbonée. Les chercheurs ont alors supposé qu’une étape supplémentaire est nécessaire pour que la bonne quantité d’acides aminés se forme dans ces météorites.
Pour vérifier cette théorie, l’équipe de recherche a simulé les conditions d’altération aqueuse des astéroïdes, une étape durant laquelle ils sont encore chauds, peu après leur formation, et contiennent ainsi de l’eau liquide. Après 7 jours, il a été constaté que non seulement la diversité d’acides aminés restait constante, mais aussi que leur quantité avait doublé. « Cela nous indique que les conditions des nuages interstellaires sont assez résistantes au traitement des astéroïdes », indique Qasim. D’après l’experte, ces conditions à l’intérieur de ces nuages pourraient ainsi avoir influencé la distribution des acides aminés retrouvés dans les météorites et les astéroïdes.
Ces résultats montrent que pour comprendre l’origine de la vie sur Terre, il est essentiel de tenir compte à la fois des conditions du nuage interstellaire primitif et de celles présentes au niveau des astéroïdes. Toutefois, les chercheurs ont souligné que la quantité d’acides aminés obtenue lors des simulations ne correspond pas encore tout à fait à celle mesurée à l’intérieur d’échantillons de météorites. Il est notamment possible qu’en s’écrasant sur Terre, les météorites soient contaminées par d’autres matières organiques terrestres. Les nouveaux échantillons des astéroïdes Ryugu et Bennu (qui n’ont pas été contaminés par des matières terrestres) fourniront peut-être plus d’indices sur le rôle clé du nuage interstellaire primitif.