Un nouveau système à vitesse d’obturation ultra rapide capture le mouvement des atomes

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| Jill Hemman/ORNL, U.S. Dept. of Energy
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Alors que les appareils photo numériques du marché offrent des vitesses d’obturation allant de 30 secondes à 1/8000e de seconde, des chercheurs de Columbia Engineering (New York) et de l’Université de Bourgogne ont mis au point un nouveau dispositif affichant une vitesse d’obturation incroyablement rapide d’environ 1 picoseconde (10-12 seconde), soit un million de millions de fois plus rapide que les obturateurs d’appareils conventionnels ! Leur système permettra notamment de mieux comprendre comment les matériaux conduisent la chaleur.

La vitesse d’obturation désigne la vitesse à laquelle l’obturateur d’un appareil se ferme : une vitesse d’obturation rapide entraîne une durée d’exposition (un temps de pose) plus courte, ce qui signifie que moins de lumière entre dans l’appareil. Dans le cas de ce nouveau dispositif, la vitesse d’obturation est si élevée qu’elle permet de voir le « désordre dynamique » des atomes — soit des fluctuations collectives d’amas d’atomes au sein de matériaux, qui sont déclenchées par des phénomènes extérieurs tels qu’une vibration ou un changement de température.

Or, une meilleure compréhension du désordre dynamique dans les matériaux pourrait conduire à des dispositifs thermoélectriques plus efficaces sur le plan énergétique. Malheureusement, il est particulièrement difficile d’étudier ce désordre, car les amas d’atomes sont non seulement très petits et désordonnés, mais ils fluctuent également dans le temps. En outre, il existe aussi dans les matériaux un « désordre statique », qui n’améliore pas les propriétés du matériau (donc dénué d’intérêt), mais qui parasite les observations du désordre dynamique (la cristallographie conventionnelle ne permettant pas de distinguer les deux). Le nouveau système à vitesse d’obturation ultra-rapide mis au point par les chercheurs permet de contourner le problème.

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La dynamique d’une structure cristalline enfin révélée !

La vitesse d’obturation du dispositif est variable ; lorsqu’elle est lente, l’équipe observe une structure atomique qui semble ordonnée, mais floue, car les amas atomiques sont en mouvement. Avec des vitesses plus élevées, il est possible de capturer un instantané encore plus précis, révélant un schéma complexe clair de déplacements dynamiques. Ce système est appelé « PDF à obturateur variable » ou vsPDF (pour variable shutter for atomic pair distribution function).

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À faible vitesse d’obturation, la structure atomique du tellurure de germanium (GeTe) semble ordonnée, mais floue. Les expositions plus rapides révèlent un schéma complexe de déplacements dynamiques. © Jill Hemman/ORNL, U.S. Dept. of Energy

« [Le vsPDF] nous offre une toute nouvelle façon de démêler les complexités de ce qui se passe dans les matériaux complexes, les effets cachés qui peuvent amplifier leurs propriétés. Grâce à cette technique, nous pourrons observer un matériau et voir quels atomes entrent dans la danse et lesquels sont à l’écart », explique Simon Billinge, professeur de sciences des matériaux, de physique appliquée et de mathématiques appliquées à l’Université Columbia, et co-auteur de l’article présentant le dispositif.

Ce système n’a évidemment rien à voir avec un appareil photo classique : pour mesurer la position des atomes, il utilise des neutrons (provenant d’une source du laboratoire national Oak Ridge du ministère américain de l’Énergie). Concrètement, la méthode consiste à examiner la façon dont les neutrons traversent le matériau pour mesurer les déplacements des atomes environnants — des clichés de diffusion de neutrons sont pris en faisant varier la vitesse de l’obturateur de lente à rapide.

L’équipe a braqué cette « caméra à neutrons » sur un matériau appelé tellurure de germanium (GeTe), doté de propriétés électroniques particulières. Il présente une conduction semi-métallique et un comportement ferroélectrique. Le GeTe solide peut passer d’un état amorphe à un état cristallin : l’état cristallin a une faible résistivité et l’état amorphe (obtenu à très haute température) a une résistivité élevée. C’est un matériau important pour la thermoélectricité, qui convertit la chaleur résiduelle en électricité (ou l’électricité en refroidissement).

Vers une meilleure conversion de la chaleur résiduelle en électricité

L’outil vsPDF a révélé qu’en moyenne, le GeTe conservait une structure cristalline à toutes les températures. Mais à des températures plus élevées, il présente « une dynamique anharmonique anisotrope », dans laquelle les atomes convertissent leurs mouvements en énergie thermique en suivant un gradient qui correspond à la direction de la polarisation électrique spontanée du matériau.

Grâce aux informations fournies par vsPDF, l’équipe a élaboré une nouvelle théorie qui montre comment de telles fluctuations locales peuvent se former dans le GeTe et les matériaux apparentés. Ceci aidera les scientifiques à identifier de nouveaux matériaux présentant cet effet particulier et aussi, à déterminer les forces externes nécessaires pour influencer cet effet — ce qui pourrait conduire à des dispositifs thermoélectriques plus efficaces sur le plan énergétique, tels que des réfrigérateurs et des pompes à chaleur à semi-conducteurs.

Cette compréhension du désordre dynamique pourrait également mener à une meilleure récupération de l’énergie utile de la chaleur résiduelle (tirée des gaz d’échappement des voitures et des centrales électriques par exemple), en la convertissant directement en électricité. Les chercheurs évoquent aussi la possibilité de mettre au point de nouveaux instruments capables d’alimenter les rovers martiens lorsque la lumière du Soleil n’est pas disponible.

Pour l’instant, la technique n’est pas prête à l’emploi, soulignent-ils. Mais en la développant davantage, elle pourrait devenir un outil standard utilisable sur de nombreux systèmes où la dynamique atomique est importante : il pourrait par exemple être possible d’observer le lithium se déplacer dans les électrodes des batteries, ou d’étudier les processus dynamiques mis en oeuvre lors de la séparation de l’eau sous l’effet de la lumière du Soleil.

Source : S. Kimber et al., Nature Materials

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