Les psychédéliques ont suscitent toujours l’intérêt médical pour le traitement des troubles anxieux et dépressifs. Leurs effets sur le fonctionnement du cerveau ne sont cependant toujours pas bien compris. Récemment, des chercheurs sont parvenus, à travers l’imagerie médicale, à observer l’altération des fonctions cérébrales par l’un de ces psychédéliques, la diméthyltryptamine (DMT). C’est un ingrédient actif de l’ayahuasca, une boisson hallucinogène ancestrale originaire d’Amérique du Sud et centrale. En étant mieux comprise, elle pourrait devenir une nouvelle arme contre la dépression.
La DMT (diméthyltryptamine) est un puissant psychédélique naturellement présent chez certaines plantes et certains animaux. Il est notamment produit en quantités infimes dans le corps humain. Il est le principal composé psychoactif de l’ayahuasca — un breuvage psychédélique préparé à partir de vignes et de feuilles utilisé depuis des milliers d’années dans des contextes cérémoniels et de guérison en Amérique du Sud et centrale.
Le produit synthétisé issu de la DMT à base de plantes est actuellement testé dans le cadre d’une combinaison médicament-psychothérapie pour traiter la dépression. La DMT peut induire un état de conscience altéré intense et immersif, caractérisé par des images vives et complexes, et un sentiment d’être transporté dans une réalité ou une dimension alternative, sans aucune diminution de l’éveil. Les essais cliniques de la thérapie psychédélique pour le traitement de divers problèmes de santé mentale ont donné des résultats prometteurs en matière d’innocuité et d’efficacité.
De plus, la plupart des recherches humaines ont impliqué un mode d’administration intraveineux. De cette manière, le médicament a une action courte, idéale pour examiner les changements rapides de la fonction cérébrale. C’est pourquoi la neuroimagerie fonctionnelle humaine avec DMT offre une opportunité scientifique unique pour faire progresser la compréhension des états conscients et d’hallucination.
Récemment, des chercheurs de l’Imperial College de Londres ont recueilli des données détaillées d’imagerie cérébrale de 20 volontaires, permettant d’obtenir l’image la plus avancée à ce jour de l’effet de la DMT sur les fonctions évoluées telles que l’imagination. L’étude est publiée dans la revue PNAS.
Des effets cérébraux psychédéliques brefs, mais vus en direct
Contrairement à d’autres psychédéliques classiques comme le LSD ou la psilocybine, les effets de la DMT sur le cerveau sont relativement brefs, ne durant que quelques minutes plutôt que des heures. En effet, l’action en intraveineuse culmine à 3 min et diminue après 15 min.
La DMT peut produire des états de conscience altérés intenses et immersifs, avec une expérience caractérisée par des visions vives et bizarres, un sentiment de « visiter » des réalités ou dimensions alternatives et des similitudes avec des expériences de mort imminente. Mais le mécanisme sous-jacent était jusque-là inconnu.
C’est ainsi que 20 volontaires sains ont reçu une dose élevée de DMT (20 mg) par voie intraveineuse, tout en effectuant simultanément deux types d’imagerie cérébrale : l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et l’électroencéphalographie (EEG). L’expérience psychédélique totale a duré environ 20 minutes, et à intervalles réguliers, les volontaires ont fourni une évaluation de l’intensité subjective de leur expérience (sur une échelle de 1 à 10).
Le Dr Chris Timmermann, du Center for Psychedelic Research de l’Imperial College de Londres et premier auteur de l’étude, explique dans un communiqué : « Une opinion de plus en plus populaire est qu’une grande partie de la fonction cérébrale concerne la modélisation ou la prédiction de son environnement. Les humains ont des cerveaux exceptionnellement gros et modélisent une quantité inhabituellement grande du monde ».
Il ajoute : « Par exemple, comme avec les illusions d’optique, lorsque nous regardons quelque chose, une partie de ce que nous voyons réellement est notre cerveau remplissant les blancs en fonction de ce que nous savons déjà ».
Modification inédite des connexions cérébrales
Les scans IRMf ont mis en évidence des changements d’activité dans et entre certaines régions du cerveau. Les effets comprenaient une connectivité accrue à travers le cerveau, avec une communication accrue entre les différentes zones et systèmes. Ces phénomènes, appelés « désintégration et déségrégation du réseau » et « augmentation de la connectivité fonctionnelle globale », s’alignent sur les études précédentes avec d’autres psychédéliques. Les modifications de l’activité étaient les plus importantes dans les zones cérébrales liées à des fonctions spécifiques à l’Homme, telles que l’imagination.
Les chercheurs soulignent que si leur étude n’est pas la première à imager le cerveau sous l’influence de psychédéliques, elle est la première à combiner des techniques d’imagerie pour étudier le cerveau lors d’une expérience hautement immersive. Le professeur Robin Carhart-Harris, fondateur du Center for Psychedelic Research de l’Imperial College de Londres et auteur principal de l’étude, déclare : « L’IRMf nous a permis de voir l’ensemble du cerveau, y compris ses structures les plus profondes, et l’EEG nous a aidés à visualiser l’activité rythmique fine du cerveau ».
« Nos résultats ont révélé que […] le cerveau bascule dans son mode de fonctionnement vers quelque chose de complètement anarchique. […] Les psychédéliques s’avèrent être des outils scientifiques extrêmement puissants pour approfondir notre compréhension de la relation entre l’activité cérébrale et l’expérience consciente ».
L’équipe explore maintenant comment prolonger le pic de l’expérience psychédélique grâce à une infusion continue de DMT, puis elle évaluera l’utilisation de la DMT pour les patients souffrant de dépression.