Les trous noirs, ces objets cosmiques encore largement incompris, fascinent les novices comme les spécialistes. Deux équipes de chercheurs se sont penchées simultanément sur la même question : celle des ondes gravitationnelles issues des fusions de trous noirs. Leurs recherches, qui devraient rapidement mener à des simulations d’ondes gravitationnelles 100 fois plus précises que ce qui se fait aujourd’hui, pourraient mener à une meilleure compréhension de ce phénomène impressionnant.
La fusion de deux trous noirs est un événement d’une violence extrême, qui crée des ondes gravitationnelles. C’est en se penchant sur ce phénomène précis que deux équipes de scientifiques, de Caltech et de la Johns Hopkins University, sont arrivées à une conclusion similaire. Ces ondes gravitationnelles, que l’on a longtemps traitées comme « linéaires », se propageraient en fait dans l’espace de façon partiellement non linéaire. Cette information leur a permis de construire de nouvelles modélisations qui pourraient s’avérer très précieuses pour l’étude des trous noirs. Leurs recherches ont été publiées dans Physical Review Letters.
Pour rappel, un trou noir est un objet compact au champ gravitationnel si intense qu’aucune matière ni aucun rayonnement ne peut s’en échapper. On ne peut donc l’observer qu’indirectement, ce qui lui a valu son surnom nimbé de mystère. Il existe plusieurs types de trous noirs, et différentes raisons à leur formation — qui ne sont pas toutes complètement élucidées.
Il arrive aussi, dans certaines circonstances, que deux trous noirs fusionnent : là encore, il peut y avoir plusieurs raisons, mais Sylvain Chaty, professeur et astrophysicien au CEA, décrit ainsi dans un article la situation la plus commune : « deux étoiles, souvent massives, naissent dans le même nuage interstellaire. Elles échangent de la matière au cours de leur vie, avant de finir par s’effondrer l’une après l’autre lors de deux événements de supernova, formant ainsi un duo de trous noirs. Ce couple continue alors inexorablement de se rapprocher, pendant un temps qui peut atteindre quelques milliards d’années, avant finalement de fusionner ».
Après avoir pris tout leur temps, les deux trous noirs entrent en collision en une fraction de seconde, et fusionnent en un trou noir unique. Ce nouveau trou noir est plus léger que la somme des deux trous noirs initiaux : et pour cause, une partie de leur masse est convertie en énergie gravitationnelle, suivant la célèbre formule d’Einstein : E=mc². Cette libération d’énergie phénoménale s’appelle le « Ring-down » : c’est le réajustement de la masse, de la charge et de la rotation du trou noir résultant.
Des effets non linéaires connus, mais insuffisamment pris en compte
En 1973, une équipe dirigée par Saul Teukolsky modélise pour la première fois les ondes électromagnétiques qui proviennent de ce phénomène. Toutefois, les chercheurs prennent peu en considération les distorsions d’ondes qui peuvent survenir dans cette fusion. Depuis, de plus amples études sur les trous noirs ont permis de comprendre que ces distorsions existent. Pourtant, elles ont souvent été considérées comme mineures, et ont été peu intégrées dans les modèles, affirment les scientifiques. « Parce que les fusions de trous noirs sont si violentes, les distorsions du trou noir final sont souvent importantes », corrige donc Keefe Mitman, qui a dirigé l’équipe de recherche de Caltech, dans des propos rapportés par Physics World dans un article. « Cela signifie que nous devrions nous attendre à des effets non linéaires [tels que] des effets des ondes gravitationnelles interagissant avec elles-mêmes alors qu’elles se propagent dans l’espace-temps près du trou noir, générant de nouvelles ondes ».
Les deux équipes de scientifiques se sont donc attelées à développer de nouveaux modèles pour mieux calculer ces effets non linéaires des ondes gravitationnelles. « Nous avons amélioré le modèle d’ondes gravitationnelles en incluant des interactions non linéaires de la gravité. Nous avons examiné diverses simulations numériques de fusions de trous noirs, contenant à la fois des interactions linéaires et non linéaires. Nous avons ensuite quantifié dans quelle mesure notre modèle non linéaire reproduisait les simulations », décrit Macarena Lagos, un membre de l’équipe de Keefe Mitman à la Colombia University.
Leurs recherches ont démontré que ces effets non linéaires ne sont pas à négliger. En analysant diverses simulations de fusions de trous noirs, ils ont calculé que ceux-ci pouvaient représenter jusqu’à 10% des signaux d’ondes gravitationnelles. Au total, ils estiment qu’en corrigeant les modèles en intégrant les effets non linéaires, il est possible d’obtenir des modélisations du « Ring down » environ 100 fois plus précises que ce qui existait jusqu’ici. Or, l’analyse de ces ondes peut être une clef pour mieux comprendre les comportements des trous noirs.
Grâce à cette nouvelle approche, les chercheurs pourraient bien avoir fait un pas de plus vers l’élucidation de ces mystères de l’univers. En obtenant des modèles plus précis, les chercheurs pourront aussi être en mesure de tester les limites de la fameuse théorie de la relativité d’Einstein. Et pourquoi pas, de les dépasser. Cependant, les chercheurs risquent de devoir attendre un moment avant de passer à l’action : en effet, les outils qui permettent actuellement de capter et d’analyser les ondes gravitationnelles ne sont pas équipés pour intégrer cette notion de non-linéarité. Il faudra donc certainement que les avancées en astrophysique s’accompagnent d’une évolution technologique.