Une équipe internationale de physiciens, dirigée par l’Université de Californie, à Irvine, est la première à détecter des neutrinos produits par un collisionneur de particules — le LHC du CERN. Cette avancée devrait permettre aux scientifiques d’approfondir leur compréhension de ces particules subatomiques, qui jouent un rôle clé dans l’évolution de l’Univers.
Les neutrinos sont des particules élémentaires, ainsi nommées parce qu’elles sont électriquement neutres. Leur masse est proche de zéro et ils n’interagissent que par interaction faible. Ils sont créés par diverses désintégrations radioactives, qui se produisent notamment au cœur des étoiles (fusion nucléaire) ou lors des supernovas. Les neutrinos comptent parmi les particules les plus abondantes dans l’Univers ; la plupart des neutrinos détectés sur Terre proviennent des réactions nucléaires qui se déroulent à l’intérieur du Soleil. Chaque seconde, des dizaines de milliards d’entre eux traversent chaque centimètre carré de notre corps.
Plusieurs détecteurs — situés sous terre pour limiter les sources de rayonnement parasites — permettent de repérer les quelques événements de collisions entre un neutrino cosmique et une autre particule, qui sont extrêmement difficiles à détecter. Le Super-Kamiokande, au Japon, l’IceCube Neutrino Observatory, en Antarctique, ou encore l’expérience MiniBooNE du Fermilab, aux États-Unis, font partie des détecteurs actuellement en activité. Les neutrinos produits dans les collisionneurs de particules n’avaient en revanche jamais été détectés jusqu’à présent : ces neutrinos de très haute énergie pourraient être utiles pour sonder l’espace lointain.
Les neutrinos les plus énergétiques jamais produits en laboratoire
La première détection d’un neutrino d’origine cosmique remonte à près de 70 ans : en 1956, un groupe de scientifiques confirme dans la revue Science avoir réussi à détecter cette mystérieuse particule au cours d’une expérience menée en 1953 au complexe nucléaire de Hanford — une détection inédite pour laquelle l’un des physiciens, Frederick Reines, a été récompensé par le prix Nobel de physique en 1995.
Depuis, la majorité des neutrinos étudiés par les physiciens sont des neutrinos de faible énergie, produits lors d’interactions de rayons cosmiques dans l’atmosphère, par des explosions stellaires ou des réactions au cœur du Soleil. L’étude des neutrinos provenant de ces sources a déjà permis d’approfondir nettement nos connaissances en matière de physique des particules et d’astrophysique.
Pour la première fois, une équipe internationale dirigée par des physiciens de l’Université de Californie, à Irvine (UCI), a détecté des neutrinos créés par un collisionneur de particules — les neutrinos les plus énergétiques jamais produits en laboratoire. Il s’agit du dernier résultat de l’expérience FASER (ForwArd Search ExpeRiment), spécifiquement conçue pour rechercher de nouvelles particules légères et à faible interaction, et pour étudier les interactions des neutrinos à haute énergie. « Les collisionneurs produisent à la fois des neutrinos et des antineutrinos de toutes sortes à de très hautes énergies, et ils sont donc très complémentaires de ceux provenant d’autres sources », écrivaient les membres de la collaboration FASER en 2020 dans The European Physical Journal C.
Ce détecteur de neutrinos, qui pèse environ une tonne, est installé dans un tunnel latéral du Grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN, à quelque 500 mètres du point d’interaction proton-proton utilisé dans le cadre d’une autre expérience (ATLAS). À cette position, les flux de la plupart des particules d’arrière-plan à haute énergie sont réduits à des niveaux négligeables, exceptés ceux des particules les plus pénétrantes, à savoir les muons et les neutrinos. Les muons, qui portent une charge négative, sont bloqués à l’entrée du détecteur par des scintillateurs.
Les résultats de l’expérience ont été présentés le 19 mars, lors
de la 57e conférence des Rencontres de Moriond sur les interactions
électrofaibles et les théories unifiées, en Italie.
« Nous avons découvert des neutrinos provenant d’une toute
nouvelle source – les collisionneurs de particules – où deux
faisceaux de particules se heurtent à une énergie extrêmement
élevée », a déclaré Jonathan Feng,
physicien des particules à l’UCI et co-porte-parole de la
collaboration FASER.
De nouvelles perspectives d’exploration de l’espace lointain
Il n’a fallu que quelques années pour concevoir le détecteur, qui a été construit en grande partie avec des pièces détachées provenant d’autres expériences. L’équipe se félicite de ces résultats. « Les neutrinos sont les seules particules connues que les expériences beaucoup plus importantes du Grand collisionneur de hadrons ne sont pas en mesure de détecter directement. L’observation réussie de FASER signifie donc que tout le potentiel physique du collisionneur est enfin exploité », souligne Dave Casper, physicien expérimentateur à l’UCI.
Bien qu’ils aient joué un rôle très important dans l’établissement du modèle standard de la physique des particules, les neutrinos comptent parmi les particules les moins bien comprises de ce modèle. L’étude expérimentale de leurs interactions, en particulier à haute énergie, peut avoir des implications passionnantes pour de nombreux domaines de recherche. « Ils peuvent nous renseigner sur l’espace lointain d’une manière que nous ne pouvons pas concevoir autrement », a déclaré Jamie Boyd, co-porte-parole de FASER et physicien des particules au CERN.
Les neutrinos sont en effet utiles pour sonder des sources astrophysiques très éloignées, car ce sont les seules particules connues capables de parcourir de grandes distances à travers le milieu interstellaire sans subir d’atténuation significative. En outre, le fait qu’ils n’interagissent que très faiblement avec d’autres particules et champs pourrait être exploité pour sonder des environnements que d’autres rayonnements ne peuvent pas pénétrer.
Outre les neutrinos, l’un des principaux objectifs de FASER est d’aider à identifier les particules qui composent la matière noire, cette mystérieuse matière qui devrait constituer environ 27% de la densité énergétique de l’Univers, mais qui n’a encore jamais été observée directement. Pour le moment, les recherches restent vaines, mais le LHC doit entamer une nouvelle série de collisions de particules dans quelques mois. Le détecteur enregistrera peut-être les signaux tant attendus…