Près de 270 milliards de tonnes d’eau stockées sur la Lune sous forme de « billes de verre »

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| NASA/USGS
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C’est la conclusion d’une équipe de scientifiques chinois, après avoir analysé les échantillons de régolithe lunaire, rapportés sur Terre lors de la mission Chang’e 5. Cette eau serait stockée dans un vaste réservoir de surface, sous forme de billes de verre d’impact. Cette découverte suggère que ces billes peuvent stocker des quantités substantielles d’eau dérivée du vent solaire, ce qui pourrait avoir des implications majeures pour l’exploration future de la Lune.

Les deux dernières décennies d’exploration lunaire ont permis de détecter des quantités substantielles d’eau à la surface de la Lune. De la glace d’eau a d’abord été détectée au niveau des pôles ; puis, d’autres analyses par spectrométrie ont indiqué que de l’eau était présente sur toute la surface de notre satellite. « Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que la majeure partie de la surface de la Lune contienne de l’eau sous une forme ou une autre. Cependant, l’origine de cette eau de surface lunaire, sa distribution spatiale et son évolution au cours de la formation du régolithe restent largement inconnues », écrivent les chercheurs dans Nature Geoscience.

La mission Chang’e 5, lancée en novembre 2020 par l’agence spatiale chinoise, avait pour objectif de recueillir des échantillons du sol lunaire. Les observations spectrales réalisées in situ ont fourni de nouvelles preuves de la présence d’eau. La capsule chargée des précieux prélèvements — environ 1,7 kg au total — fut de retour sur Terre le 16 décembre 2020. À l’instar des échantillons rapportés par les missions Apollo et Luna, ce matériau comprenait principalement des fragments de roches et de minéraux, des billes de verre pyroclastiques, des agrégats produits par impact et des billes de verre d’impact. Or, il se trouve que l’inventaire en eau des billes de verre n’avait pas encore été étudié en détail.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Une eau produite grâce au vent solaire

Les spécialistes en sciences planétaires de l’Académie chinoise des sciences expliquent que plusieurs sources et processus potentiels peuvent avoir contribué à la présence d’eau à la surface de la Lune : l’implantation du vent solaire, le dégazage d’éléments volatils pendant le volcanisme lunaire ou encore l’apport par des impacts de comètes et d’astéroïdes. « On pense généralement que l’implantation d’ions hydrogène par le vent solaire pourrait réagir avec les minéraux de surface pour produire de l’hydroxyle ou de l’eau dans les sols lunaires », précisent-ils.

L’eau de surface produite et/ou délivrée dans les régions équatoriales de la Lune peut ensuite migrer vers les régions polaires, sous l’effet des variations de température et pourrait également être partiellement libérée dans l’espace. Un tel cycle de l’eau lunaire nécessite toutefois la présence d’un réservoir d’eau dans les profondeurs du sol, permettant la reconstitution d’eau en surface. Or, malgré plusieurs études, la localisation et la nature de ce réservoir sont restées insaisissables.

Les chercheurs se sont donc livrés à une analyse détaillée des billes de verre d’impact renvoyées par Chang’e 5, dans le but d’identifier et de caractériser ce réservoir d’eau « manquant ». Ces minuscules billes de verre se forment lorsque des fragments de roche spatiale frappent la surface : l’énergie libérée par l’impact vaporise les minéraux, qui se refroidissent ensuite sous forme de petites particules vitreuses de quelques dizaines de micromètres de diamètre.

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Six des billes de verre d’impact contenues dans les échantillons lunaires rapportés par la mission Chang’e 5. Elles présentent des compositions chimiques homogènes. © H. He et al.

Un total de 117 billes de verre ont été caractérisées à l’aide de la microscopie électronique à balayage à émission de champ du micro-analyseur à sonde électronique et de la spectroscopie Raman. L’équipe rapporte une abondance de 0 à 1909 μg/g d’équivalent H2O, avec des caractéristiques d’appauvrissement en deutérium. Cette corrélation suggère que l’eau contenue dans les billes provient du vent solaire. « Les billes de verre d’impact conservent les signatures d’hydratation et présentent des profils d’abondance d’eau compatibles avec la diffusion vers l’intérieur de l’eau dérivée du vent solaire », écrivent les experts.

Un mécanisme « efficace » de recharge en eau

À mesure que de l’eau se perd dans l’espace, elle est reconstituée par les réserves contenues dans ces billes de verre, qui agissent ainsi comme un tampon pour le cycle de l’eau lunaire.

Pour commencer, les billes de verre sont produites lorsque les impacteurs frappent la Lune ; la majeure partie de l’eau contenue dans les matériaux précurseurs est probablement perdue sous l’effet des températures élevées. Les ions hydrogène du vent solaire sont ensuite implantés en continu dans les sols lunaires et dans les billes, où ils se combinent avec des atomes d’oxygène pour former de l’eau. Le façonnage du régolithe transfère les billes plus profondément dans les sols, créant un réservoir d’eau à la subsurface.

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Schéma du cycle de l’eau de surface lunaire associé aux billes de verre d’impact : a) formation des billes de verre d’impact, b) implantation des ions hydrogène du vent solaire, qui se combinent à des atomes d’oxygène pour former de l’eau et c) libération d’eau dans l’exosphère lunaire (en raison de l’irradiation solaire et/ou des impacts de météorites). © H. He et al.

Les chercheurs estiment que la quantité d’eau contenue dans ces billes peut atteindre 2,7 × 1014 kg — en supposant une profondeur globale des sols lunaires de 3 à 12 mètres et une abondance des billes dans les sols de 3 à 5% du volume. La modélisation du processus montre qu’elles peuvent accumuler de l’eau en quelques années (moins de 15 ans). « Des temps de diffusion aussi courts suggèrent un mécanisme efficace de recharge en eau qui pourrait soutenir le cycle de l’eau à la surface de la Lune », expliquent-ils.

Cette découverte est importante pour les futures missions lunaires, qui prévoient d’établir des camps de base sur notre satellite — notamment dans le cadre de la mission Artemis. La présence d’eau exploitable in situ pourrait en effet faciliter grandement le déroulement de ces missions. « Cette eau piégée dans les billes de verre d’impact semble assez facile à extraire », soulignent les auteurs de l’étude.

Mais ce n’est pas tout : l’équipe pense que le même processus pourrait potentiellement se dérouler sur d’autres corps célestes dépourvus d’air, où des billes de verre d’impact sont susceptibles de se former. « Nos découvertes indiquent que les billes de verre d’impact à la surface des corps sans air du système solaire sont capables de stocker l’eau dérivée du vent solaire et de la libérer dans l’espace », concluent-ils.

Source : H. He et al., Nature Geoscience

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