Des chercheurs ont identifié un complexe de protéines jouant un rôle déterminant dans la progression de la polyarthrite rhumatoïde. Suite à cette découverte, ils ont identifié un composé extrait d’une plante — surnommée « vigne du tonnerre divin » — pouvant inhiber le complexe, empêchant ainsi la progression de la maladie et potentiellement celle d’autres maladies auto-immunes.
La polyarthrite rhumatoïde, une maladie auto-immune, se caractérise par un dysfonctionnement du système immunitaire menant à la production d’auto-anticorps visant principalement les articulations — et ce plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes. Ces auto-anticorps sont les principaux facteurs de sa pathogénicité. On observe notamment une réponse immunitaire exacerbée, durant laquelle les lymphocytes T régulateurs (chargés de contrôler la réponse immunitaire) ne sont pas suffisamment actifs.
Étant donné le caractère systémique de la polyarthrite rhumatoïde, les réponses auto-immunes se produisent principalement au niveau des articulations, mais aussi des ganglions lymphatiques, des poumons et d’autres organes. Les symptômes les plus visibles se manifestent par une synovite agressive (inflammation de la membrane synoviale). On observe d’abord une infiltration de quelques cellules inflammatoires, puis une multiplication des vaisseaux sanguins et un épaississement considérable du tissu synovial, déformant les articulations. Ce tissu présente en effet de nombreuses couches au lieu d’une seule et est envahi par un grand nombre de cellules inflammatoires, de monocytes, de macrophages, de cellules dendritiques et de lymphocytes.
Interception de la migration excessive des cellules immunitaires
La migration des cellules immunitaires est normalement la réponse de notre organisme à l’intrusion d’un agent pathogène. Cependant, dans la polyarthrite rhumatoïde, cette réponse est dirigée contre l’organisme lui-même, et les cellules finissent par détruire les structures soutenant les articulations. Le cartilage s’érode et s’amincit, l’os se déminéralise, et les tendons et ligaments sont fragilisés jusqu’à parfois se rompre. Les facteurs induisant cette migration cellulaire sont les chimiokines et leurs récepteurs. La plupart des médicaments actuels ciblent l’activation de ces récepteurs en se liant à des protéines appelées GPCR.
En étudiant de plus près ces migrations cellulaires, les chercheurs de l’Université d’Osaka (Japon) ont identifié un complexe protéinique appelé COMMD3/8. « Nous avions précédemment montré que le complexe COMMD3/8 potentialisait la réponse immunitaire humorale, mais son rôle dans les maladies auto-immunes restait incertain », explique Kazuhiro Suzuki, coauteur principal de la nouvelle étude et chercheur au laboratoire de dynamique de la réponse immunitaire à l’Université d’Osaka. Chez les personnes souffrant de polyarthrite rhumatoïde, le complexe agit notamment en tant que régulateur recrutant sélectivement une GPCR kinase spécifique (ou GRK), d’après une étude de 2019 menée par les mêmes chercheurs. Cette dernière se lie aux récepteurs de chimiokines en favorisant la transduction de leur signal et facilite la migration des cellules immunitaires.
L’expression exacerbée des récepteurs de chimiokine est en effet l’un des facteurs essentiels dans le déclenchement des réponses allergiques et auto-immunes. Intercepter les facteurs et voies biologiques en amont, notamment au niveau du complexe COMMD3/8, serait potentiellement plus efficace pour entraver ce dérèglement immunitaire.
Dans la nouvelle étude, décrite dans la revue Science Immunology, les chercheurs exposent un composé extrait d’une plante capable d’inhiber efficacement ce complexe. Il s’agit du célastrol, extrait de la racine et de l’écorce de la « vigne du tonnerre divin », ou Lei gong teng (Tripterygium wilfordii), une plante notamment utilisée par les tradithérapeutes chinois pour soulager les douleurs articulaires, les gonflements associés et la fièvre. « Notre criblage chimique a identifié le célastrol comme l’inhibiteur le plus puissant du complexe COMMD3/8 », indique Suzuki.
Un potentiel d’utilisation dans d’autres maladies auto-immunes
La vigne du tonnerre divin est une plante grimpante à petites fleurs blanches, originaire du sud de l’Asie. Son analyse phytochimique révèle qu’elle est particulièrement riche en molécules bioactives, incluant principalement des diterpènes, des triterpènes, des glycosides et des alcaloïdes. Les diterpènes, dont le célastrol extrait de l’écorce et de la racine, font l’objet de recherches actives pour leurs propriétés immunosuppressives et anti-inflammatoires. Ces recherches concernent notamment les traitements contre le diabète, l’obésité et le cancer.
La polyarthrite rhumatoïde étant une maladie inflammatoire auto-immune, les chercheurs de la nouvelle étude ont analysé les voies biomoléculaires pouvant interagir avec le célastrol. Il a été démontré que ce composé peut se lier de manière covalente à la protéine COMMD3, l’empêchant ainsi de se lier à la COMMD8 pour former un complexe actif. Cela intercepte la migration des cellules immunitaires, empêchant ainsi la progression de la maladie. Cet effet a été démontré chez des souris.
L’équipe a en effet analysé au préalable les mécanismes biomoléculaires régissant le complexe COMMD3/8 en modifiant génétiquement des souris pour qu’elles n’expriment pas la protéine COMMD3. « La suppression de COMMD3 entraîne la dégradation de COMMD8 et, par conséquent, la disparition du complexe COMMD3/8 », explique Taiichiro Shirai, auteur principal de l’étude et chercheur au même département que Suzuki, à l’Université d’Osaka. En l’absence du complexe, la réponse immunitaire humorale a été modifiée et le nombre de cellules produisant des anticorps a diminué, d’après l’expert.
En transposant cet effet (grâce au célastrol) chez des souris chez lesquelles l’on a induit la polyarthrite rhumatoïde, la progression de la maladie a été considérablement freinée. De plus, le complexe COMMD3/8 étant impliqué dans la réponse auto-immune, le célastrol pourrait potentiellement être utilisé pour traiter d’autres maladies auto-immunes, telles que le lupus érythémateux systémique, la sclérose en plaques et le psoriasis.
Toutefois, il est important de souligner que les recherches sont encore à un stade précoce et que des études supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’efficacité et la sureté du célastrol chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et d’autres maladies auto-immunes. Les chercheurs doivent notamment explorer les dosages optimaux et les formulations possibles pour une administration efficace de ce composé. En fin de compte, le célastrol pourrait constituer un traitement prometteur pour un grand nombre de maladies auto-immunes.