Bien cachés sous les rues de New York, des photons enchevêtrés ont circulé dans une boucle de fibres optiques, le 10 avril dernier. Ce processus pourrait constituer le premier jalon dans la construction d’un « internet quantique » extrêmement difficile à pirater.
Peut-être avez-vous déjà emménagé dans un lieu en vous demandant s’il « y avait la fibre » ou non ? La fibre optique est en effet connue pour nous permettre de transmettre des données de façon très rapide, grâce à la lumière qui transite à travers ce dispositif. Des chercheurs de l’entreprise Qunnect affirment qu’ils pourraient utiliser ce même réseau de fibres optiques pour créer un « internet quantique ». Ils viennent en effet de réussir à faire circuler des photons enchevêtrés dans une boucle de fibres optiques de 34 kilomètres de long, ce qui pourrait constituer une première étape dans la transmission de données « quantiques ». Une journaliste du New Scientist a pu assister à l’expérimentation et l’a relatée dans un article.
Pour mieux comprendre ce qu’ils veulent dire par là, revenons au fonctionnement de base de la fibre optique. La lumière possède différentes longueurs d’onde. Celles-ci peuvent être distinguées très clairement les unes des autres. Lorsqu’on les fait circuler dans des dispositifs capables de les distinguer, elles peuvent être utilisées comme différents « canaux d’informations ». C’est sur cette particularité qu’est basé le fonctionnement de la fibre optique. Grâce à de petits « câbles », les fameuses « fibres » optiques, elle transporte ces différents canaux d’information en un seul rayon de lumière.
Concrètement, comment de la lumière peut-elle transmettre une donnée, une information ? Il faut imaginer qu’au bout de votre ordinateur, un laser (la source de lumière) traduit le signal électrique qui porte l’information en signal lumineux. Ce signal lumineux se propage à travers les fibres optiques, puis il est à nouveau « reconverti » à l’arrivée sous la forme d’un signal électrique compréhensible pour un ordinateur. Ce que nous appelons « lumière » en langage courant n’est autre qu’un flux de « photons ». Les photons sont en quelque sorte des « particules » de lumière, de petits paquets d’énergie libérés par les électrons gravitant autour d’un atome.
Dans l’expérimentation menée par ces scientifiques de Qunnect, on retrouve bien ce fonctionnement : ils envoient des photons, donc de la lumière, circuler dans la boucle de fibre optique. Mais ces photons ont quelque chose de spécial par rapport à ceux que l’on trouve habituellement dans nos réseaux : ils sont « enchevêtrés » par paire. Là, vous imaginez peut-être un étrange nœud lumineux…
Des photons enchevêtrés qui servent de « signal d’alarme »
En réalité, l’enchevêtrement, ou intrication quantique, est une propriété propre à la physique quantique. Les chercheurs se sont en effet aperçus, en étudiant la matière à l’échelle de l’atome, qu’il existait des particules liées l’une à l’autre d’une façon fascinante. Lorsque deux particules sont intriquées, elles réagissent l’une par rapport à l’autre. Si l’une est altérée, l’autre change instantanément ses propriétés : et cela reste vrai même si ces deux particules sont éloignées l’une de l’autre, y compris à très longue distance.
Ces chercheurs ont réussi à produire des paires de photons intriquées, en utilisant un dispositif appelé « source d’intrication ». Très concrètement, ils ont activé un laser calibré de façon précise pour « frapper » des atomes de rubidium, qui libèrent en réponse des photons intriqués. Sur ces paires de protons libérés, l’un est gardé dans le laboratoire, tandis que l’autre est envoyé sur la boucle de fibres optiques.
Cette prouesse technique pourrait bien servir à créer un « internet quantique » ultra sécurisé, justement grâce à cette fameuse intrication. En effet, grâce à la particule intriquée qui reste à la source, il est possible de savoir immédiatement si la donnée « jumelle » subit une quelconque altération : par exemple, si elle est piratée. En réalité, de tels réseaux quantiques existent déjà. Mais jusqu’ici, la méthode utilisée ne permettait souvent de produire que des paires de photons qui n’étaient pas à la bonne longueur d’onde pour circuler dans nos réseaux de fibre habituels. Cette nouvelle méthode permettrait donc d’implémenter cette nouvelle technologie sans pour autant bouleverser les réseaux existants. L’appareil utilisé a peu ou prou la taille d’une boîte à chaussures, fonctionne à température ambiante et se branche sur un réseau de fibre optique standard.
Les scientifiques affirment également qu’ils ont amélioré la stabilité de l’intrication des photons de plus de cent fois par rapport aux taux atteints par d’autres appareils similaires utilisant des atomes. Les premiers clients potentiels visés par Qunnect seraient très certainement des institutions financières, ou des centres de recherche, qui pourraient avoir besoin de cette connexion ultra sécurisée. Ils travaillent actuellement à l’ajout d’une autre boucle associée à une seconde source d’intrication. Une nouvelle expérience qui sera plus proche du fonctionnement d’un potentiel « internet quantique », qui requerrait plusieurs centres de télécommunication quantiques. Ceux-ci posséderaient chacun leur propre source d’intrication, et permettraient aux utilisateurs d’avoir plus d’une option pour se faire « livrer » des photons intriqués.