Récemment, des chercheurs ont découvert une enzyme, ANKLE1, agissant avec précision sur les ponts de chromatine et permettant aux cellules de se diviser correctement. Cette enzyme pourrait constituer une cible clé pour les thérapies contre le cancer et les maladies auto-immunes, les erreurs de division cellulaire étant parmi les causes.
Lors de la division cellulaire, des erreurs peuvent survenir et entraîner des dommages au matériel génétique. Au cours de ce processus, l’ADN doit être correctement réparti entre les deux nouvelles cellules « filles », afin qu’elles puissent assurer adéquatement leurs fonctions. Fréquemment, les erreurs se produisent au niveau de la chromatine, qui peut former une sorte de pont entre deux cellules lors de l’interphase. Ce pont relie les deux masses de chromosomes en ségrégation (ou qui migrent vers les pôles des deux cellules) et se retrouve parfois piégé au milieu du processus de division cellulaire, au niveau de la zone médiane des cellules (la zone où elles s’étirent pour pouvoir se diviser).
Les deux cellules cherchent alors à couper ce pont en générant des forces mécaniques contractiles, médiées par un complexe protéinique actine-myosine (ou actomyosine). Ce clivage « forcé » peut entraîner des dommages au matériel génétique, en formant de petits amas appelés micronoyaux, qui déstabilisent le génome. Cette instabilité génomique est caractéristique de nombreuses tumeurs solides. La rupture mécanique entraîne également une fragmentation massive de l’ADN, dont les fragments envahissent le milieu cytosolique. Ces fragments peuvent activer des réponses immunitaires innées et pourraient contribuer à l’auto-inflammation.
Selon la nouvelle étude, publiée dans Advanced Science, la compréhension du mécanisme de rupture du pont de chromatine lors de la division cellulaire pourrait être la clé pour le développement de nouvelles stratégies contre le cancer et les maladies auto-immunes. « De plus en plus de données de recherche suggèrent que les réponses immunitaires jouent un rôle important dans la détermination des résultats cliniques de nombreux médicaments anticancéreux traditionnels », indique Gary Ying Wai Chan, biologiste à l’Université de Hong Kong et auteur correspondant de la nouvelle recherche.
Il est important de savoir que les molécules antimitotiques sont couramment utilisées dans les stratégies anticancéreuses. « Cependant, on ne sait pas si l’induction de réponses immunitaires dues aux ponts de chromatine est en partie responsable de l’effet antitumoral », ajoute le chercheur. Établir le lien précis entre l’instabilité chromosomique et l’immunité innée fournirait ainsi de précieux indices pour des stratégies thérapeutiques potentiellement efficaces. La découverte de l’enzyme ANKLE1 constitue peut-être un grand pas vers ces nouvelles stratégies.
Une enzyme assurant la stabilité du génome
Lors d’études antérieures, une endonucléase (une enzyme qui fragmente les acides nucléiques) nommée LEM-3 a été découverte chez Caenorhabditis elegans, un ver rond microscopique couramment utilisé comme modèle biologique en laboratoire. Chez ce dernier, l’enzyme joue un rôle crucial dans la rupture des ponts de chromatine, pour séparer correctement deux cellules lors de leur division. ANKLE1 est l’équivalent de LEM-3 chez l’Homme et s’accumule au niveau d’une structure bombée sur la partie médiane des cellules en cours de division.
Afin d’évaluer l’implication de l’enzyme dans la division cellulaire, les chercheurs ont utilisé la technique CRISPR-Cas9 pour supprimer le gène exprimant ANKLE1 dans les cellules humaines. Il a alors été observé que cette suppression conduisait à la formation exacerbée de ponts de chromatine étendus, signifiant que ANKLE1 empêche cet hyperétirement. En l’absence de l’enzyme, les ponts sont rompus par les forces mécaniques du complexe actomyosine.
Par ailleurs, il a également été constaté que l’absence d’ANKLE1 altérait non seulement l’ADN et rendait le génome instable, mais induisait également une importante activation de la voie de signalisation de l’immunité innée, appelée cGAS-STING. Il s’agit notamment d’une voie immunitaire qui s’active en réponse à la détection d’ADN d’agents pathogènes dans le cytosol. Les milliers de fragments générés par la rupture mécanique du pont de chromatine — en l’absence de l’enzyme ANKLE1 — sont confondus avec de l’ADN d’agents pathogènes et activent la voie immunitaire cGAS-STING.
Ces résultats indiquent qu’ANKLE1 joue un rôle majeur dans le maintien de la stabilité du génome et dans la prévention de l’auto-immunité. Plus précisément, en coupant correctement les ponts de chromatine en amorçant une activité nucléolytique, l’enzyme empêche l’altération du matériel génétique, la formation de micronoyaux et l’envahissement du milieu cytosolique par des fragments d’ADN. Développer de nouvelles molécules ciblant l’enzyme permettrait ainsi d’entraver la progression de nombreuses maladies cancéreuses et auto-immunes.