De novembre 2018 au mois de décembre 2022, la mission InSight de la NASA a exploré la structure interne de Mars. L’analyse des ondes sismiques enregistrées par la sonde a permis de déterminer l’épaisseur et la composition des différentes couches internes, ainsi que l’état thermique de la planète. Pour la première fois, des scientifiques ont identifié des ondes sismiques se propageant à travers le noyau : ces données permettent non seulement de caractériser le cœur de la planète, mais aussi de mieux comprendre le processus de formation des planètes telluriques.
La mission InSight (Interior exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) a atterri dans la région d’Elysium Planitia le 26 novembre 2018. Pour mener à bien sa mission, l’atterrisseur était équipé d’un sismomètre à très large bande (SEIS) et d’un capteur de flux de chaleur (HP3). Les données collectées pendant quatre ans ont permis de caractériser la croûte et le manteau martiens. Les forces de marées exercées par Phobos — l’une des deux petites lunes de Mars — ont par ailleurs suggéré que le noyau martien est principalement, sinon totalement, liquide.
Les propriétés élastiques et la composition du noyau ont été estimées via des modèles théoriques, mais restaient à confirmer. Une équipe de recherche internationale, qui comprenait des sismologues de l’Université du Maryland (UMD), a pu utiliser pour la première fois les données sismiques de Mars pour déterminer directement les propriétés du noyau : ce dernier se compose d’un alliage de fer complètement liquide, avec des pourcentages élevés de soufre et d’oxygène. Ces découvertes mettent également en évidence les raisons pour lesquelles Mars est si différente de la Terre.
Un noyau liquide, particulièrement riche en éléments légers
« En 1906, les scientifiques ont découvert pour la première fois le noyau de la Terre en observant comment les ondes sismiques des tremblements de terre étaient affectées par leur déplacement à travers celui-ci. Plus de cent ans plus tard, nous appliquons notre connaissance des ondes sismiques à Mars », a déclaré Vedran Lekic, professeur agrégé de géologie à l’UMD et co-auteur de l’étude relatant la découverte. Bien que la mission InSight se soit achevée il y a quelques mois déjà, les scientifiques continuent d’examiner attentivement les données recueillies.
À ce jour, seuls deux événements sismiques — désignés S0976a et S1000a — ont été identifiés comme étant situés sur l’hémisphère de Mars opposé à l’atterrisseur InSight. Ces événements ont été localisés à l’aide de phases identifiées comme des ondes PP et SS, qui descendent à une profondeur de près de 1200 km dans le manteau martien et se réfléchissent à la surface de Mars à mi-chemin de leur trajectoire, expliquent les chercheurs dans leur article.
En comparant le temps de trajet des ondes traversant le noyau (notées SKS) à celui des ondes restées dans le manteau (ondes PP et SS), et en combinant ces informations avec d’autres mesures sismiques et géophysiques, l’équipe a pu estimer la densité et la compressibilité de la matière traversée. Les résultats indiquent que Mars possède très probablement un noyau entièrement liquide — contrairement à la Terre, qui combine un noyau externe liquide et un noyau interne solide (aussi appelé « graine »). Son rayon est compris entre 1780 et 1810 kilomètres.
Les chercheurs ont également pu en savoir un peu plus sur la composition chimique du noyau : « Nos résultats sont cohérents avec un cœur riche en soufre, avec de plus petites fractions d’oxygène, de carbone et d’hydrogène », notent-ils, ajoutant que 20 à 22% du poids du noyau serait composé de ces éléments légers. Ceci constitue une autre différence majeure avec la Terre, dont le noyau se compose principalement de fer et de nickel, et comporte une proportion beaucoup plus faible d’éléments légers.
Des différences géophysiques expliquant l’absence de vie
Le noyau martien apparaît donc beaucoup moins dense et plus compressible que celui de la Terre, ce qui suggère des conditions de formation différentes pour ces deux planètes. Les chercheurs rapportent une densité de 6,2 à 6,3 g/cm3 (vs. 10 g/cm3 pour le noyau externe et 13 g/cm3 pour le noyau interne de la Terre). Cette différence pourrait expliquer en partie pourquoi la vie est apparue sur Terre et non sur Mars. « Le résultat final des processus de formation et d’évolution peut être la création ou l’absence de conditions propices à la vie », souligne Nicholas Schmerr, professeur agrégé de géologie à l’UMD et co-auteur de l’article.
Rappelons que c’est dans le noyau externe qu’est généré le champ magnétique terrestre, via un mécanisme de dynamo auto-entretenue (qui repose sur les mouvements de convection des alliages métalliques dans la partie liquide du noyau). Ce champ magnétique a joué un rôle essentiel dans l’apparition de la vie, en protégeant la surface des vents solaires.
Mars ne possède pas de champ magnétique à l’heure actuelle, mais les traces de magnétisme qui subsistent dans la croûte martienne indiquent qu’il en existait probablement un autrefois. Lekic et Schmerr notent que cela pourrait signifier que Mars a progressivement évolué d’un environnement potentiellement habitable à un environnement beaucoup plus hostile. Les conditions à l’intérieur de la planète ont sans doute joué un rôle clé dans cette évolution. Reste à éclaircir les processus responsables de ce changement majeur.
En attendant, ces résultats ont permis de confirmer l’exactitude des modélisations réalisées dans le but d’avoir un premier aperçu des structures internes de Mars ; ces modèles pourront donc être appliqués à d’autres planètes. De même, pour les auteurs de l’étude, ce type de recherche ouvre la voie à de futures expéditions axées sur la géophysique d’autres corps célestes, notamment Vénus et Mercure.