M87* est le trou noir supermassif niché au cœur de la galaxie Messier 87, située à 55 millions d’années-lumière, dans la constellation de la Vierge. Il s’agit du premier trou noir à avoir été imagé : en avril 2019, les images capturées par l’équipe de l’Event Horizon Telescope ont fait la une des médias dans le monde entier. On y distinguait un noyau dense et sombre, entouré d’un anneau brillant. Quatre ans plus tard, de nouvelles images de l’objet révèlent encore plus de détails, notamment la base du jet de matière qui s’en échappe.
Les observations de l’Event Horizon Telescope de la galaxie M87 en 2017, à une longueur d’onde de 1,3 mm, ont révélé pour la première fois une structure en forme d’anneau autour d’un trou noir central. Un an plus tard, les chercheurs ont effectué de nouvelles observations de la galaxie, à une longueur d’onde de 3,5 mm, livrant davantage de détails sur son trou noir. Ils ont cette fois-ci utilisé les données collectées par le Global Millimeter VLBI Array (GMVA), ainsi que les données de l’Atacama Large Millimetre/submillimetre Array (ALMA) et du télescope du Groenland (GLT).
Ces deux derniers ont considérablement amélioré la résolution angulaire dans la direction nord-sud (d’un facteur 4 !) et la couverture de la ligne de base dans la direction perpendiculaire au jet de matière, note l’équipe. « Cela améliore considérablement le niveau de détails que nous pouvons observer. Et dans ce cas, la conséquence a été un bond spectaculaire dans notre compréhension de la physique opérant près du trou noir au centre de la galaxie M87 », a déclaré Lynn Matthews, astrophysicienne au MIT, qui a travaillé sur la synchronisation des antennes paraboliques de l’ALMA.
Un jet directement connecté au flux d’accrétion
Les 14 et 15 avril 2018, les astronomes ont coordonné les radiotélescopes du GMVA, de l’ALMA et du GLT pour qu’ils enregistrent les émissions radio provenant de la galaxie M87 à une longueur d’onde de 3,5 millimètres. À l’aide de plusieurs algorithmes, ils ont obtenu des représentations visuelles de ces données. Les images ont mis en évidence plusieurs caractéristiques du trou noir M87*, non seulement sa forme, mais aussi son flux d’accrétion et son puissant jet de matière.
Pour commencer, l’anneau s’avère 50% plus grand et plus épais que ne le suggéraient les données précédentes. En outre, pour la première fois, les scientifiques ont pu observer qu’une partie de l’anneau du trou noir est constituée de plasma provenant du disque d’accrétion environnant. « Ce qui est passionnant, c’est que nous voyons toujours une ombre du trou noir, mais nous commençons aussi à voir un jet plus étendu », souligne Kazunori Akiyama, chercheur à l’Observatoire Haystack du MIT, qui a développé le logiciel d’imagerie utilisé pour visualiser le trou noir.
Ils ont par ailleurs observé du plasma sortir de l’anneau central, tel un jet relativiste : les images montrent que le jet est directement connecté au flux d’accrétion du trou noir. C’est la première fois que la connexion entre la base du jet et la matière qui tourbillonne autour du trou noir apparaît aussi nettement. « Si vous le considérez comme un monstre cracheur de feu, avant, nous pouvions voir le dragon et le feu, mais maintenant nous pouvons voir le dragon cracher le feu », explique Eduardo Ros, astronome et coordinateur scientifique pour l’interférométrie à très longue base (VLBI) à l’Institut Max Planck de radioastronomie.
L’origine des jets enfin élucidée
Les chercheurs notent que la région de lancement du jet est plus large que le profil attendu d’un jet entraîné par un trou noir, ce qui suggère, selon eux, la présence possible d’un vent puissant associé au flux d’accrétion.
L’utilisation de nombreux télescopes et instruments différents a non seulement fourni à l’équipe une vue plus complète (et inédite) de la structure du trou noir supermassif et de son jet, mais a également permis d’éclairer un débat de longue date sur l’origine de ce type de jet. En effet, les chercheurs peuvent désormais affirmer que le jet issu de M87* est né de l’énergie créée par les champs magnétiques entourant le noyau en rotation du trou noir et aussi des vents s’élevant du disque d’accrétion.
Ces nouvelles observations permettent aux astrophysiciens d’approfondir leurs connaissances sur la façon dont les trous noirs peuvent propulser de tels jets énergétiques, qui s’étendent parfois au-delà de la galaxie qui les héberge. « Nous pouvons commencer à aborder des questions telles que la façon dont la matière est capturée par un trou noir et comment elle parvient parfois à s’échapper », a déclaré Akiyama.
Les astronomes espèrent à l’avenir cerner davantage de propriétés du plasma de ce trou noir, telles que son profil de température et sa composition. Pour cela, ils prévoient d’adapter l’EHT et le GMVA à de nouvelles résolutions. En observant M87* à plusieurs longueurs d’onde, ils seront capables de construire une image en couches et une compréhension encore plus détaillée des trous noirs et des jets qu’ils génèrent.