Récemment, plusieurs études ont suggéré que la fibromyalgie est d’origine auto-immune, plutôt que psychosomatique. Une nouvelle étude semble confirmer ces hypothèses en démontrant qu’un afflux anormal de cellules immunitaires neutrophiles pourrait être responsable de la douleur chronique généralisée caractéristique de la maladie — parmi de nombreux autres symptômes.
Affectant en moyenne 2 à 4% de la population mondiale, la fibromyalgie est caractérisée par une douleur chronique localisée et débilitante. Survenant majoritairement chez les femmes (dans 80-90% des cas), elle peut être accompagnée d’un état de stress généralisé, des troubles du sommeil, de l’anxiété chronique, de la détresse émotionnelle, etc. Ces symptômes accompagnant la maladie sont si diversifiés et hétérogènes que cette dernière fait souvent l’objet de questionnements récurrents, notamment concernant sa véritable origine. De plus, l’absence de signes radiologiques évidents et la variation substantielle du degré et de la localisation des douleurs déconcertent parfois les cliniciens et peuvent fausser ou exclure le diagnostic.
Si certains chercheurs supposent qu’elle peut avoir une origine psychosomatique, l’hypothèse de son origine neurologique non auto-immune est dominante. Selon cette théorie, la fibromyalgie serait déclenchée par un processus de sensibilisation centrale. Notamment, le système nerveux central exacerberait les signaux nerveux traversant le cerveau et la moelle épinière, sensibilisant ainsi un individu à la douleur, de façon bien plus élevée que la normale.
Cependant, des études semblent contester cette hypothèse en rapportant des preuves de changements d’activité dans le système nerveux périphérique chez les personnes souffrant de fibromyalgie. Depuis peu, la potentielle origine auto-immune de la maladie est également explorée. Une étude datant de 2021 a par exemple révélé une surproduction d’immunoglobulines (des anticorps) chez les personnes atteintes de la maladie, ce qui exacerbait la sensibilité à la stimulation mécanique (en surstimulant les neurones nociceptifs).
« De plus en plus de preuves démontrent une interaction bidirectionnelle complexe entre les cellules immunitaires et les neurones sensoriels », écrivent les chercheurs de la nouvelle étude dans la revue PNAS. Cette dernière suggère qu’un taux anormalement élevé de cellules neutrophiles serait à l’origine de la douleur chronique généralisée dans la fibromyalgie. « Il a été démontré que les neutrophiles jouent un rôle inattendu dans le processus pathologique de production de douleur chronique, bien qu’il s’agisse de cellules immunitaires à courte durée de vie qui aident normalement à combattre les infections », explique Shafaq Sikandar, auteur principal de la nouvelle étude et maître de conférences en biologie sensorielle à l’Université Queen Mary de Londres.
Une invasion de cellules neutrophiles
Dans le cadre de la nouvelle étude, les chercheurs ont évalué l’effet de neutrophiles collectés chez des patients atteints de fibromyalgie sur des souris (une approche similaire à l’étude de 2021). Impliqués dans la réponse immunitaire innée, les neutrophiles sont en effet déployés de manière non spécifique, dès l’intrusion d’un agent pathogène et induisent la production de cytokines inflammatoires. Un taux sanguin étonnamment élevé de neutrophiles et de cytokines a été constaté chez les patients. En recevant les cellules immunitaires, les souris en bonne santé sont devenues hypersensibles à la douleur.
De plus, en temps normal, ces cellules immunitaires ne se retrouvent dans les tissus nerveux qu’en cas de traumatisme ou de maladie sous-jacente. Or, un grand nombre d’entre elles ont été observées infiltrant massivement les ganglions sensoriels des souris. La vitesse de cette « invasion » était telle que les rongeurs sont devenus très sensibles aux stimuli mécaniques, en seulement une heure après l’injection de neutrophiles. En comparaison, l’injection de sérum ou d’autres cellules immunitaires n’a pas eu d’effet sur les animaux.
Les résultats de cette étude fournissent une preuve supplémentaire sur l’origine auto-immune de la fibromyalgie, en suggérant qu’elle découle d’un dysfonctionnement du système immunitaire. Les chercheurs estiment également que les neutrophiles peuvent induire des états de douleur chronique s’étalant sur le long terme. Les expériences ont notamment montré que l’injection à répétition de neutrophiles chez les souris retardait sensiblement l’apparition d’une douleur généralisée persistante. L’origine auto-immune de la maladie expliquerait également probablement sa plus forte prévalence chez les femmes (les maladies auto-immunes affectant davantage les femmes que les hommes).
Il faut noter cependant que les chercheurs n’ont pas réussi à reproduire les expériences de l’étude de 2021, l’injection d’anticorps fibromyalgiques n’ayant eu aucun effet sur les souris. De plus, les souris mâles et femelles présentaient les mêmes niveaux de sensibilité à la douleur, lors des expériences. D’autres questions restent également sans réponse, notamment concernant les mécanismes régissant les symptômes accompagnant généralement la maladie (troubles du sommeil, anxiété, dépression, …) et l’hétérogénéité de ses caractéristiques chez les patients.