L’existence des trous noirs est désormais incontestée dans la communauté scientifique. Pourtant, une question subsiste : pourrait-il y avoir d’autres objets cosmiques dont les effets ressemblent à ceux des trous noirs, sans être des trous noirs en soi ? Des chercheurs ont récemment simulé un objet cosmique étrange — décrit par la théorie des cordes — qui pourrait être confondu avec un trou noir ordinaire. Si ces objets existent, ils pourraient aider à résoudre un paradoxe de longue date concernant ces monstres cosmiques, en rapprochant la théorie de la relativité générale et la physique quantique.
La détection d’ondes gravitationnelles en 2015 a été une véritable révolution dans le domaine de l’astrophysique, validant ainsi l’existence des trous noirs. Ces ondes gravitationnelles, ou « ondulations » dans l’espace-temps, sont le fruit de certains des événements les plus violents et énergiques de l’Univers. Elles furent d’abord théorisées par Albert Einstein en 1916, dans le cadre de la théorie de la relativité générale.
Ces ondes traversent l’espace-temps, se répandant dans toutes les directions depuis leur source, à la vitesse de la lumière. En chemin, elles emportent avec elles de précieuses informations sur leurs origines, ainsi que des indices sur la nature de la gravité.
Cependant, nous n’avons pas de moyen concret de vérifier que nos observations sont réellement celles de trous noirs. Bien que leur existence soit prédite par la théorie d’Einstein, la singularité en leur centre est une notion problématique, nécessitant de la remplacer par une entité moins radicale qu’un point de densité infinie.
Fascinée par ces découvertes, une équipe de l’Université Johns-Hopkins a exploré la possibilité que d’autres objets puissent engendrer des effets gravitationnels similaires aux trous noirs. Ils se sont appuyés sur la théorie des cordes, qui tente d’unifier la mécanique quantique et la théorie de la relativité générale, pour simuler cet objet qui dévie la lumière comme le ferait un trou noir : le soliton topologique. Si cet objet existe réellement, il pourrait constituer un nouveau type d’étoile. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans la revue Physical Review D.
Une image familiale indistincte
Les nouvelles simulations illustrent de manière réaliste un objet que l’équipe de Johns-Hopkins nomme un soliton topologique. Il apparait comme une image floue d’un trou noir vue de loin, mais dévoile une nature totalement différente de près.
Il est à noter que, dans la théorie des cordes, les solitons topologiques sont des sortes de nœuds gravitationnels dans l’espace-temps à quatre dimensions, où les particules constituant l’Univers seraient en réalité composées de minuscules cordes vibrantes. Cet objet reste hypothétique à ce jour. Cependant, le fait que l’équipe ait pu le modéliser grâce à des équations mathématiques, et montrer son apparence à l’aide de simulations, suggère l’existence potentielle d’autres types de corps célestes qui resteraient cachés aux yeux des meilleurs télescopes terrestres.
Les résultats démontrent aussi comment le soliton topologique déforme l’espace, exactement comme le ferait un trou noir, tout en interagissant avec la lumière de manière contraire à celui-ci, en émettant de faibles rayons lumineux.
Un jeu de lumière cosmique
Il est important de se rappeler que le champ gravitationnel d’un trou noir est si intense que la lumière peut en orbiter à une certaine distance de son centre, tout comme la Terre orbite autour du Soleil. Cette distance détermine la « surface » d’un trou noir, connue sous le nom d’horizon des événements. C’est la frontière où la vitesse nécessaire pour s’échapper dépasse la vitesse de la lumière, qui est la limite de vitesse de l’univers. Une fois cette limite franchie donc, la matière et le rayonnement sont absorbés par le trou noir sans possibilité de retour.
L’équipe de Johns-Hopkins a utilisé la théorie des cordes pour comparer les trous noirs au soliton. Ils ont simulé plusieurs scénarios en utilisant des images de l’espace extra-atmosphérique, comme si elles avaient été capturées avec un appareil photo, positionnant un trou noir et le soliton topologique devant l’objectif.
Il convient de préciser qu’ils se sont basés sur des travaux antérieurs de l’équipe pour construire des solitons topologiques en utilisant la théorie de la relativité générale d’Einstein. Les résultats sont des images déformées en raison des effets gravitationnels de ces corps massifs. Les solitons topologiques sont étonnamment similaires aux trous noirs en matière de taille apparente et de propriétés de diffusion, tout en étant lisses et sans horizon.
Pierre Heidmann, physicien à l’Université Johns-Hopkins et qui a dirigé l’étude, explique dans un communiqué : « La lumière est fortement courbée, mais au lieu d’être absorbée comme elle le ferait dans un trou noir, elle se disperse dans des mouvements impressionnants jusqu’à ce qu’à un moment donné, elle revienne de manière chaotique. Il n’y a pas de point sombre, seulement beaucoup de flou, ce qui signifie que la lumière orbite chaotiquement autour de cet objet étrange ».
Des scientifiques ont déjà élaboré des modèles d’étoiles à bosons, d’étoiles de gravas et d’autres objets hypothétiques qui pourraient exercer des effets gravitationnels similaires à ceux des trous noirs. Le soliton topologique est le premier objet basé sur la théorie des cordes qui présente un comportement similaire à celui d’un trou noir, démontrant que les objets de gravité quantique peuvent être utilisés pour décrire la physique du monde réel, réconciliant deux théories qui ont défié les chercheurs pendant des décennies.
Heidmann souligne : « Ce sont les premières simulations d’objets de théorie des cordes pertinents sur le plan astrophysique, puisque nous pouvons réellement caractériser les différences entre un soliton topologique et un trou noir comme si un observateur les voyait dans le ciel ».
Bien que les solitons ne soient pas des prédictions de nouveaux objets, ils constituent, à l’heure actuelle, les meilleurs modèles de ce à quoi pourraient ressembler les nouveaux objets de gravité quantique par rapport aux trous noirs. Bah, co-auteur de l’étude, conclut : « C’est le début d’un merveilleux programme de recherche. Nous espérons à l’avenir être en mesure de proposer véritablement de nouveaux types d’étoiles ultracompactes constituées de nouveaux types de matière issus de la gravité quantique ».