La nature complexe des interactions entre les parasites et leurs hôtes est une source constante de découvertes, mais surtout d’interrogations. Une nouvelle étude révèle comment un ténia manipule son hôte, la fourmi, pour prolonger la durée de vie de cette dernière et ainsi augmenter ses propres chances de survie. En utilisant un cocktail de protéines spécifiques, le parasite influence le comportement et la morphologie de l’hôte. Ces résultats pourraient aider à comprendre et contrôler les interactions hôte-parasite.
Les parasites sont des organismes qui vivent aux dépens d’un autre organisme, appelé hôte. Certains parasites ont des cycles de vie simples, où ils passent toute leur vie dans un seul hôte. Cependant, d’autres parasites ont des cycles de vie plus complexes, impliquant plusieurs hôtes, à différents stades de leur vie.
Ces derniers ont développé des stratégies étonnantes pour assurer leur survie et leur reproduction. L’une de ces stratégies est la manipulation du phénotype de leurs hôtes intermédiaires. Le phénotype se réfère à toutes les caractéristiques observables d’un organisme, y compris son comportement, sa morphologie (forme et structure), sa physiologie et d’autres traits. La modification du phénotype permet de rendre l’hôte intermédiaire plus attrayant pour l’hôte définitif et augmenter les chances de survie et de reproduction du parasite.
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Récemment, une étude menée par une équipe de l’Université Johannes Gutenberg en Allemagne, a révélé que les fourmis du chêne (Temnothorax nylanderi) peuvent être infectées par un ténia parasite qui, étonnamment, prolonge leur vie par des changements dans le comportement, la morphologie et la coloration de la fourmi. Les mécanismes impliqués étaient jusqu’à présent inconnus. L’étude est publiée sur la plateforme bioRvix.
Un cocktail d’antioxydants
Les chercheurs se sont concentrés sur le cestode Anomotaenia brevis. Ce parasite a un cycle de vie indirect avec la fourmi du chêne comme hôte intermédiaire, et deux espèces de pics (Dendrocopos major et D. minor) comme hôtes définitifs. Ce ténia doit donc faire en sorte que la fourmi infectée soit mangée par un pic.
Pour ce faire, les auteurs ont découvert qu’il libère des protéines dans son hôte, qui pourraient expliquer les changements observés, dont la coloration de la cuticule devenant plus claire et jaune, contrairement à la couleur brune des ouvrières saines. Ces protéines parasitaires constituent une part substantielle du protéome de l’hémolymphe de l’hôte, le fluide qui circule dans le corps de la fourmi. Parmi ces protéines, la thioredoxine peroxydase et le superoxyde dismutase, deux antioxydants, étaient les plus abondants.
Une grande partie des protéines sécrétées n’a pas pu être annotée, ce qui indique qu’elles sont soit nouvelles, soit ont été majoritairement modifiées lors de la coévolution récente pour fonctionner dans la manipulation de l’hôte.
Les chercheurs ont également détecté des changements dans le protéome de l’hôte avec l’infection, en particulier une surabondance de vitellogenine-like-A chez les fourmis infectées. Cette protéine régule la division du travail chez les fourmis, ce qui pourrait expliquer les changements de comportement observés. En effet, les individus porteurs du parasite ne sortent pas pour se nourrir, mais restent dans le nid, où des ouvrières non infectées s’occupent d’elles.
D’après les auteurs, le parasite utilise deux stratégies différentes pour manipuler son hôte. La première est la sécrétion de protéines ayant une influence immédiate sur le phénotype de l’hôte. La seconde est l’altération de l’activité de traduction de l’hôte, c’est-à-dire la manière dont l’hôte produit ses propres protéines.
Associées au changement de comportement, c’est-à-dire au fait que les fourmis ne travaillent plus pour la colonie, la fourmi triple son espérance de vie et cela profite évidemment au parasite, car même s’il faut plusieurs années avant qu’un pic ne découvre un nid de fourmis infecté, certaines fourmis portent toujours le parasite et finissent par infecter le pic une fois lui avoir servi de repas, complétant ainsi le cycle de vie.
Une co-évolution à comprendre pour lutter contre les maladies parasitaires
Il faut savoir que les interactions hôte-parasite sont un moteur majeur de l’évolution. Étudier ces relations peut aider à comprendre comment les espèces évoluent et s’adaptent. Dans ses travaux, l’équipe de recherche met en lumière l’interaction moléculaire complexe nécessaire pour influencer le phénotype d’un hôte et éclaire les voies de signalisation potentielles ainsi que les gènes impliqués dans la communication hôte-parasite.
Étant donné que de nombreuses maladies humaines et animales sont causées par des parasites, comprendre comment ils manipulent leurs hôtes permettrait de développer de meilleures stratégies pour prévenir et traiter ces maladies. Cela pourrait également protéger des espèces menacées des effets dévastateurs de ce parasitisme.
Néanmoins, comme le concluent les auteurs, il reste à déterminer quels sont les mécanismes précis par lesquels les protéines sécrétées par le parasite influencent le phénotype de l’hôte, ainsi que les effets à long terme de ces manipulations sur la santé et la survie de l’hôte.