Donald Gray Triplett, connu comme étant le premier cas diagnostiqué de l’histoire de l’autisme, décède le 15 juin, à 89 ans, à la suite d’un cancer. Diagnostiqué étant enfant par le pionnier de la psychiatrie Léo Kanner, Triplett a permis d’établir les fondements du trouble autistique, ayant mené à certaines avancées actuelles. Il a marqué les esprits par sa vie incroyablement riche et épanouie.
Depuis sa découverte dans les années 1940, la prévalence des diagnostics d’autisme ne cesse d’augmenter. Si la prévalence était de 1 cas sur 110 en 2016, elle est d’aujourd’hui passée à 1 sur 36. Si l’origine de cette hausse fait l’objet de débats, la compréhension actuelle du trouble est en grande partie attribuée à l’histoire de l’enfance de Triplett. Adulte, il est devenu une étude de cas essentielle sur la façon dont les personnes autistes pourraient avoir une vie épanouie et équilibrée.
Né le 8 septembre 1933 dans la petite ville de Forest au Mississipi (aux États-Unis), Triplett était constamment dans sa bulle et ne s’intéressait pas aux autres enfants. Il restait de marbre face aux sollicitations de sa mère ou à un personnage déguisé en père Noël destiné à l’amuser.
Il utilisait ce qui ressemblait à un langage codé pour communiquer. Son quotidien était ponctué de petites habitudes, telles que le fait de faire tourner de petits objets sur eux-mêmes de façon répétée. Si on avait l’indélicatesse d’interrompre ses « rituels », il se lançait dans de violentes crises de colère.
Probablement dépassés par les évènements, ses parents ont décidé de l’envoyer, alors qu’il était âgé de quatre ans, dans un établissement sanitaire spécialisé. Son père, Beamon Triplett, serait passé par deux épisodes de dépression, car à l’époque, les enfants souffrant de graves problèmes psychologiques pouvaient être placés de manière permanente dans des institutions spécialisées. Pendant la durée du séjour, les parents ne lui rendaient visite que deux fois par mois. L’enfant qu’il était passait toutes ses journées dans l’apathie, restant parfois complètement immobile durant des heures.
Au bout d’un an, les parents ont finalement décidé de le retirer de l’internat et de le confier à Léo Kanner de l’Université de Johns Hopkins, le fondateur de la première clinique de pédopsychiatrie des États-Unis. Si au départ le médecin ne savait comment qualifier l’état de Triplett, il a rapidement établi le premier diagnostic menant à notre compréhension actuelle de l’autisme.
Découverte des fondements de l’autisme
Kanner aurait déjà été familier avec le concept d’autisme, développé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler et utilisé pour qualifier l’auto-absorption totale, caractérisant certains patients schizophrènes. Cependant, les 11 cas décrits dans son étude datant de 1943 différaient nettement de ce qui a été antérieurement rapporté. Avec Triplett comme cas inaugural, Kanner décrivait un trouble psychologique comprenant des habitudes répétitives obsessionnelles, une mémoire eidétique et une incapacité à établir des liens sociaux de manière ordinaire.
Les recherches du médecin ont été également appuyées par les notes du père de Donald Gray, qui, étonnamment soucieux des détails, avait rédigé plus d’une trentaine de pages sur les habitudes de son fils. Ce rapport relatait par exemple la manière dont l’enfant fredonnait de nombreux airs avec une précision quasi millimétrée, après les avoir entendus une seule fois. Le père indiquait aussi que son fils entrait dans des états de dépression émotionnelle si ses habitudes se retrouvaient perturbées.
Dans son étude, le médecin a conclu que l’autisme était une condition caractérisée par l’émergence précoce durant l’enfance de déficits de communication et d’interaction sociale, et des comportements restreints ou répétitifs ainsi qu’un désir de similitude/routine. Un an plus tard, Hans Asperger (à l’origine de l’appellation « autisme Asperger ») a publié ses recherches qui ont étayé ces résultats, en plus d’une description d’une gamme de capacités intellectuelles particulières.
L’entourage de Triplett rapporte d’incroyables capacités à effectuer des calculs complexes, auxquels Donald répondait sans hésitation. La rumeur circule qu’il aurait estimé avec précision le nombre de briques de la façade de son lycée rien qu’en y jetant un coup d’œil ! En prenant de l’âge, Triplett n’a cessé de développer des obsessions et peinait à tenir une conversation ordinaire. Néanmoins, sa vie a pris une tournure qui aurait semblé inimaginable en vue de son enfance et qui a ému des millions de personnes dans le monde.
Une vie riche et épanouie
Malgré ses difficultés sociales, Triplett a obtenu son brevet d’études secondaires ainsi qu’un diplôme d’études universitaires du Millsaps College de Jackson, au Mississipi. Il y a étudié le français et les mathématiques et faisait même partie d’une fraternité étudiante. Entre 20 et 30 ans, il a acquis les compétences sociales qui lui manquaient à l’adolescence. Avec le temps, il a réussi à conduire sa propre voiture, a été embauché comme comptable dans une banque locale et a voyagé seul à travers le monde entier.
Son parcours menant à cette incroyable autonomie a fait l’objet d’un best-seller intitulé « In a Different Key : The Story of Autisme » et nommé parmi les finalistes du prix Pulitzer de 2017. Le livre relate que contrairement à ce que l’on pourrait croire, Donald Gray avait beaucoup d’amis avec lesquels il passait beaucoup de temps. Il leur attribuait même des petits surnoms de son « cru » (des chiffres ou des amalgames de lettres). Certains d’entre eux prenaient par exemple un café avec lui tous les matins, tandis que d’autres l’on accueillit dans l’une des équipes de golf locales.
La petite communauté de Forest l’admirait et le traitait avec déférence. D’après les auteurs du best-seller, cette acceptation a joué un rôle décisif dans l’épanouissement de Triplett. « Voir son histoire se dérouler au fil des ans a été un honneur. Nous sommes vraiment chanceux d’être une petite partie de son histoire en tant que premier enfant de l’autisme », exprime affectueusement le dernier hommage de la Bank of Forest, en son honneur.