La vitesse d’élimination de l’alcool de l’organisme dépend d’un grand nombre de facteurs, dont l’âge, le sexe et le poids corporel. Une découverte contre-intuitive révèle que contrairement à ce que l’on pourrait croire, les femmes plus âgées et souffrant d’obésité éliminent l’alcool jusqu’à 52% plus rapidement par rapport à celles plus jeunes et ayant un poids corporel normal.
Prédire l’alcoolémie individuelle après l’ingestion d’alcool est un problème épineux, que les scientifiques tentent encore à ce jour de mieux comprendre. Notamment, la même dose d’alcool consommée par kilogramme de poids corporel peut entraîner des taux différents d’alcoolémie selon l’individu. Cette différence est due aux variations individuelles au niveau du taux d’absorption intestinale et de la quantité d’alcool ingérée qui est métabolisée, avant d’atteindre la circulation sanguine.
Les scientifiques estiment que les différences d’alcoolémie individuelles sont régies par deux principaux facteurs : le volume du foie et la composition corporelle, c’est-à-dire la répartition de la masse graisseuse et de la masse maigre. La nouvelle étude, décrite dans la revue Alcohol Clinical and Experimental Research, suggère que la vitesse à laquelle les femmes éliminent l’alcool de leur organisme peut être prédite par leur taux de masse corporelle maigre. D’après les auteurs de l’étude, issus de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign et d’Indiana, l’âge y joue également un rôle fondamental.
« Nous pensons que la relation étroite que nous avons trouvée entre la masse corporelle maigre des participants et leur taux d’élimination de l’alcool est due à l’association qui existe entre la masse corporelle maigre et le tissu hépatique maigre – la partie du foie responsable du métabolisme de l’alcool », explique l’auteure principale, M. Yanina Pepino, professeure de sciences alimentaires et de nutrition humaine à l’Université de l’Illinois.
En effet, la compréhension de la façon dont l’alcool se déplace dans l’organisme (pharmacocinétique de l’alcool) est essentielle pour prédire l’exposition du cerveau et d’autres organes. Cette mesure permettra, à son tour, de déterminer avec plus de précision les mécanismes biomoléculaires induisant ses effets toxiques (pharmacodynamie). Le décryptage des mécanismes de ces facteurs de variation peut également contribuer à la conception de meilleures stratégies de prévention.
Une analyse se concentrant sur les femmes
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont effectué en parallèle deux analyses sur l’estimation de la vitesse d’élimination de l’alcool chez les femmes. Ensemble, les deux échantillons de ces analyses comprenaient 143 femmes âgées de 21 à 64 ans et de différentes origines ethniques (81,1% caucasiennes, 12,6% afro-américaines, 6,3% asiatiques). Elles représentent un large éventail d’indices de masse corporelle (IMC), allant d’un indice normal à l’obésité sévère (de 18,5 à 48,4 kg/m2).
Parmi ces volontaires, 19 ont subi une chirurgie bariatrique. Étant donné que les femmes représentent 80% des patients subissant ce genre d’intervention, Pepino et son équipe ont choisi de se concentrer uniquement sur ce sexe. De plus, des différences fondamentales liées au sexe au niveau du métabolisme alcoolique impliqueraient la prise en compte d’un grand nombre de variables supplémentaires. Par ailleurs, les femmes présentant des conditions pathologiques sous-jacentes ou invalidantes (grossesse ou allaitement) ont également été exclues de l’étude.
Parmi les 143 participantes, 102 ont été sélectionnées pour des mesures de taux de masse maigre et de masse graisseuse, selon leur IMC. Sur cette base, le sous-échantillon a été divisé en trois groupes : un de poids normal (avec un IMC compris entre 18,5 et 24,9 kg/m2) et deux autres en surpoids (IMC entre 25 et 29,9 kg/m2) et obèses (IMC supérieur à 30 kg/m2). Grâce à ces mesures, les chercheurs ont d’abord constaté que les femmes ayant un IMC élevé avaient non seulement plus de masse graisseuse que celles de poids normal, mais également plus de masse maigre. En moyenne, le groupe souffrant d’obésité présentait 52,3 kilogrammes de masse maigre en moyenne tandis que celui de poids normal n’en avait que 47,5.
Ensuite, les volontaires ont reçu une perfusion intraveineuse d’alcool avec un débit contrôlé par ordinateur. L’objectif était d’atteindre un taux d’alcoolémie de 0,06% en 15 minutes et de maintenir ce niveau pendant environ deux heures. Pour ce faire, le système a calculé le taux de perfusion individuel en fonction de l’âge, de la taille, du poids et du sexe. Parallèlement, des alcootests ont été effectués à intervalles réguliers, tout au long de l’expérience.
L’équipe de recherche a constaté qu’une masse corporelle plus élevée (et donc une masse maigre élevée) était corrélée à une vitesse d’élimination d’alcool plus élevée. Ce constat était particulièrement flagrant chez les femmes plus âgées. Chez celles jeunes et de poids normal, le taux moyen d’élimination était de 6 grammes par heure. En revanche, chez celles plus âgées (plus de 40 ans), en surpoids et souffrant d’obésité, ce taux était respectivement de 7 et de 9 grammes par heure. Pour une mise en perspective, l’on peut trouver 14 grammes d’alcool dans 34 centilitres de bière, 14 centilitres de vin de table et 4 centilitres de spiritueux. Cette corrélation entre l’âge et la masse maigre représentait 72% de la variance du temps d’élimination d’alcool.
Et bien que la chirurgie bariatrique n’ait eu aucun effet notable sur la vitesse d’élimination d’alcool, des recherches ont antérieurement révélé que l’intervention pouvait modifier la réaction des femmes à l’alcool. En effet, les patientes ayant subi ce type d’intervention métaboliseraient plus lentement l’alcool. Les résultats de cette nouvelle étude suggèrent que cette variation peut s’expliquer par la réduction de masse corporelle maigre induite par la chirurgie.