Cela fait des siècles que nous nous questionnons sur la manière dont l’Univers a commencé. Ce débat a été relancé récemment, car 33 physiciens des plus célèbres au monde viennent de publier une lettre ouverte défendant l’une des principales hypothèses sur l’origine de l’Univers : la théorie de l’inflation cosmique.
Cette lettre est en réalité une réponse directe à un article publié dans le Scientific American en février dernier, dans laquelle trois physiciens ont fortement critiqué la théorie de l’inflation : cette théorie suppose que l’univers s’est développé comme un ballon, peu de temps après le Big Bang. L’article est allé jusqu’à prétendre que le modèle « ne peut être évalué à l’aide de la méthode scientifique », soit l’équivalent académique de prétendre qu’il ne s’agit même pas d’une science réelle.
La lettre ouverte des 33 physiciens de renommée mondiale, dont Stephen Hawking, Lisa Randall et Leonard Susskind, a également été publiée dans le Scientific American. En gros : ils sont très en colère.
La théorie de l’inflation cosmique a été proposée par le cosmologue Alan Guth en 1979. Ce modèle cosmologique (s’insérant dans le paradigme du Big Bang), se base sur l’idée qu’une fraction de seconde après le Big Bang, l’Univers aurait connu une phase d’expansion très violente et rapide qui lui aurait permis de grandir d’un facteur considérable. Durant les années qui ont suivi, l’idée originale de Guth a été améliorée et mise à jour par des physiciens de Stanford, notamment Andrei Linde, qui ont depuis consacré leur carrière à affiner ce modèle de l’inflation cosmique, qui est devenu la théorie principale concernant la naissance de l’Univers.
C’est pour cette raison que Guth et Linde, en plus des cosmologistes David Kaiser et Yasunori Nomura, sont allés recruter les 31 autres signataires de la lettre ouverte. Un fait intéressant, est que l’un des anciens collègues de Guth et Linde, n’est autre que le physicien Paul Steinhardt, qui fait partie du trio contre lequel ils se rallient. En effet, Guth, Linde et Steinhardt ont tous partagé le prestigieux prix Dirac « pour le développement du concept d’inflation en cosmologie », en 2002.
Mais, durant les années qui ont suivi, Steinhardt est devenu très critique quant à la théorie inflationniste sur laquelle il avait travaillé. Il a été l’un des auteurs de l’article publié par le Scientific American en février dernier, avec Anna Ijjas, physicienne de Princeton, ainsi que l’astronome Abraham Loeb de Harvard.
Cet article mettait l’accent sur de récentes recherches concernant le fond diffus cosmologique, qui ne correspondent pas aux prédictions de la théorie inflationniste. L’article critiquait également le fait que l’inflation aurait généré des ondes gravitationnelles primordiales, qui n’ont jamais été identifiées. « Les données suggèrent que les cosmologistes devraient réévaluer ce paradigme privilégié et envisager de nouvelles idées sur la façon dont l’univers a débuté », expliquent-ils dans l’article.
Mais cette critique en soi n’est pas le problème, ces arguments sont sains dans le monde scientifique. Les éléments qui ont contrarié Guth, Linde ainsi que les 31 autres signataires, était la suggestion selon laquelle la théorie de l’inflation cosmique ne pouvait pas être testée, et qu’elle n’était donc même pas vraiment scientifique. « Ils ont [fait] cette affirmation extraordinaire selon laquelle la cosmologie inflationniste « ne peut être évaluée à l’aide de la méthode scientifique » et ont affirmé que certains scientifiques qui acceptent l’inflation ont proposé de « rejeter l’une des propriétés déterminantes de la science : la testabilité empirique, l’idée d’une sorte de science non empirique » », expliquent les physiciens dans leur lettre ouverte.
« Nous n’avons aucune idée à quels scientifiques ils se réfèrent. Nous ne sommes pas d’accord avec un certain nombre de déclarations dans leur article, mais dans cette lettre, nous nous concentrerons sur notre désaccord catégorique avec ces déclarations sur la testabilité de l’inflation », ajoutent-ils.
La théorie de l’inflation cosmique repose en effet sur de nombreux modèles. Au cours des 37 dernières années, certains de ces modèles ont permis de faire des prédictions correctes et vérifiables : y compris notamment concernant la densité de masse moyenne de l’Univers ainsi que sa forme. Beaucoup de ces modèles ne sont cependant toujours pas résolus.
Mais dans tous les cas, ces derniers sont testables, ce qui signifie que oui, il s’agit de science, et qu’ils peuvent être prouvés ou réfutés en fonction des preuves qui seront trouvées à l’avenir.
Sean Carroll, l’un des physiciens ayant signé la lettre, s’est exprimé à ce sujet : « Nous jugeons les théories selon les prévisions qu’elles émettent et que nous pouvons tester, et non celles qui ne peuvent être testées. Il est totalement vrai qu’il existe des questions importantes restées sans réponse concernant le paradigme inflationniste. Mais la bonne réponse dans cette situation est soit de travailler pour essayer de répondre à ces questions, soit de se concentrer sur autre chose (ce qui est une option parfaitement respectable). Il ne faut pas prétendre que les questions sont, en principe, sans réponse, et donc qu’elles ont quitté le domaine de la science ».
Depuis lors, les auteurs du premier article ont également répondu, avec une sorte de FAQ concernant le débat. Ils maintiennent leur position, que l’inflation était autrefois vérifiable, mais que « ce qui a commencé dans les années 1980 comme étant une théorie semblant faire des prédictions définitives est devenue une théorie qui ne fait pas de prédictions définies ».
Malheureusement, il n’y a pas encore de solution concernant ce débat et les deux parties sont très fermes. Le seul élément que les deux parties acceptent toute les deux, est le fait que la théorie de l’inflation n’est pas parfaite. Nous devrions donc tous rester ouverts d’esprits concernant ce qui s’est réellement passé lors de la naissance de l’Univers, à mesure que de nouvelles données sont disponibles.
Ou, comme dirait Guth lorsqu’on lui a demandé ce qui se passerait ensuite : « Je pense que nous allons simplement poursuivre nos recherches ».
L’article du Scientific American publié en février 2017 peut être lu ici. La lettre ouverte en guise de réponse, également publié dans le Scientific American, ici. Et finalement, la réponse des auteurs du premier article, ici.