Au cours de la photosynthèse, chaque photon collecté par les protéines dites « antennes » génère de l’énergie avec une efficacité incroyablement élevée. Des chercheurs ont fait une étonnante découverte selon laquelle l’apparent désordre dans l’arrangement de ces protéines serait le secret de cette capacité, connue sous le nom « d’efficacité quantique proche de l’unité ».
La photosynthèse permet aux végétaux et à certaines bactéries de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique, avec une efficacité quantique proche de l’unité. Cette efficacité est obtenue par le biais d’un réseau de protéines antennes collectant les photons et transférant l’énergie résultante vers les centres de réaction photosynthétique. Arrivée à destination, cette énergie est convertie en électrons pour alimenter la production de molécules de glucose et d’oxygène.
Alors que le transfert d’énergie à l’échelle des protéines antennes individuelles a largement été étudié, il n’en est pas de même à l’échelle interprotéique. Or, le transfert d’énergie sur de grandes distances nanométriques repose sur les échanges entre ces complexes protéinés. Cependant, l’étude de ces échanges est particulièrement difficile en raison du nombre de protéines impliquées, de leur organisation hétérogène et de leurs caractéristiques spectrales qui se chevauchent. Il en résulte alors une incompréhension de la façon dont la photosynthèse parvient à atteindre une efficacité quantique proche de l’unité — l’énergie photonique étant censée diminuer sur de longues distances et dans les centres de réaction distants de 25 à 200 nanomètres (par rapport aux antennes).
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Des chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT) suggèrent une explication au phénomène, dans une nouvelle étude publiée dans la revue PNAS. En mesurant pour la première fois l’énergie transférée entre les protéines antennes, ils ont découvert que leur arrangement aléatoire augmente considérablement l’efficacité de la transduction de cette énergie.
Gabriela Schlau-Cohen, professeure agrégée de chimie au MIT et auteure principale de la nouvelle étude, explique que : « pour que cette antenne fonctionne, une transduction d’énergie à longue distance est nécessaire. Notre principale découverte est que l’organisation désordonnée des protéines collectrices de lumière améliore l’efficacité de cette transduction d’énergie à longue distance ».
Un désordre boostant l’efficacité énergétique
Dans le cadre de leur étude, Schlau-Cohen et son équipe se sont concentrés sur les bactéries pourpres photosynthétiques, couramment utilisées comme modèles d’études de la photosynthèse. Vivant dans des milieux aquatiques pauvres en oxygène, elles effectuent une photosynthèse anoxygénique par le biais d’un seul centre réactionnel. Ces caractéristiques les rendent idéales pour les observations en laboratoire, sans compter leurs propriétés spectrales bien distinctes.
Chez ces bactéries, les photons collectés traversent un réseau d’antennes composées de protéines et de pigments tels que la chlorophylle. Antérieurement, les scientifiques ont utilisé la spectroscopie ultrarapide pour observer comment l’énergie se déplace au niveau de chaque protéine antenne. Grâce à des impulsions laser ultrarapides, cette technique permet d’observer des évènements se produisant sur des échelles temporelles allant de la femtoseconde à la nanoseconde. Cependant, observer ce transfert d’énergie au niveau interprotéinique s’avère plus difficile, car cela implique une connaissance précise de la position de chaque complexe.
Afin de faciliter l’observation du transfert d’énergie entre les protéines antennes, les chercheurs ont conçu des membranes synthétiques à l’échelle nanométrique, de composition similaire à celles de bactéries. À savoir que les bactéries pourpres possèdent deux types de protéines antennes, selon le milieu où elles vivent. Dans des conditions de luminosité normales, elles expriment une protéine appelée LH2 (absorbant les longueurs d’onde allant de 800 à 850 nanomètres), tandis qu’une variante appelée LH3 est davantage exprimée dans les milieux à faible luminosité. Dans son étude, l’équipe de recherche a intégré les deux versions de la protéine dans leurs nanodisques.
En contrôlant la taille des nanodisques membranaires, la distance entre les protéines a pu être évaluée de manière précise. Grâce à des observations au microscope cryoélectronique, l’équipe a pu constater que les protéines collectrices de lumière étaient distantes de 2,5 à 3 nanomètres — une distance à peu près similaire à celle de la membrane bactérienne naturelle.
Pour les protéines étroitement espacées, les chercheurs ont découvert que le déplacement de l’énergie de l’une à l’autre s’effectue en 6 picosecondes environ. En revanche, ce temps de transfert passe à 15 picosecondes entre celles plus espacées. Il a été constaté qu’à mesure que le temps de déplacement est réduit, le transfert d’énergie est plus efficace, car moins d’énergie se perd au cours du transfert. « Lorsqu’un photon est absorbé, il ne reste que peu de temps avant que l’énergie ne soit perdue par des processus indésirables tels que la désintégration non radiative. Donc plus il peut être converti rapidement, plus il est efficace », explique Schlau-Cohen.
En agençant les protéines selon une disposition en treillis, l’équipe du MIT a constaté que le transfert d’énergie était beaucoup moins efficace. De ce fait, l’agencement aléatoire observé chez les bactéries et la plupart des cellules végétales permettrait d’atteindre la fameuse efficacité quantique proche de l’unité. Cette découverte suggère que l’hétérogénéité caractérisant généralement les organismes vivants pourrait être un avantage évolutif.
En prochaine étape, l’équipe envisage d’observer le déroulement de ce mécanisme de transfert d’énergie entre les protéines antennes et celles du centre de réaction photosynthétique. Le phénomène sera également étudié dans d’autres organismes photosynthétiques plus complexes, notamment les plantes.