DishBrain, un réseau de neurones intégré à une puce informatique, a laissé le monde sans voix en 2021 en apprenant à jouer au célèbre jeu vidéo Pong en seulement 5 minutes — une capacité lui permettant de surpasser certains systèmes d’intelligence artificielle (IA) actuels. Visant à révolutionner l’IA avec de nombreuses possibilités d’application, la puce semi-biologique a reçu 407 000 dollars de financement de la part d’un prestigieux programme militaire australien.
DishBrain intègre environ 800 000 neurones cultivés dans une boîte de pétri combinés à une puce électronique en silicium. Il a démontré des capacités qui seraient difficiles à atteindre avec seulement les réseaux électroniques, même ceux composant les meilleurs dispositifs actuels. La puce « fusionne les domaines de l’intelligence artificielle et de la biologie synthétique pour créer des plates-formes informatiques biologiques programmables », explique dans un communiqué l’un des responsables du projet, Adeel Razi, de l’University College de Londres et de l’Université australienne de Monash.
La puce exploite la puissance de calcul de cellules biologiques et promet de larges perspectives d’application telles que la robotique, l’automatisation avancée, les interfaces cerveau-machine ou encore la découverte de nouvelles molécules médicamenteuses. Elle offre un avantage stratégique conséquent à l’Australie, qui pourrait concevoir une toute nouvelle génération de systèmes d’apprentissage automatique et peut-être développer les premiers appareils véritablement autonomes — c’est-à-dire, qui ne nécessitent que peu ou pas de soutien informatique à distance. Selon Razi, ces dispositifs nécessiteront « un nouveau type d’intelligence artificielle capable d’apprendre tout au long de leur cycle de vie ».
Surpasser les dispositifs en silicium
La supériorité de calcul des cellules biologiques a été largement démontrée avec les matériaux biomimétiques, prenant en charge le calcul neuromorphique. Cependant, malgré les tentatives, aucun réseau artificiel n’a à ce jour pu supporter une complexité de calcul de niveau 3, c’est-à-dire de représenter simultanément trois variables d’état différentes. D’un autre côté, bien que le calcul neuronal a pu être cartographié in vivo, son exploration in vitro comporte de nombreuses limites.
Afin de surmonter ces défis, les chercheurs australiens ont combiné l’intelligence innée des cellules biologiques aux matériaux artificiels soutenant les systèmes informatiques standard. La combinaison résulte en un mélange silicium-tissus mous. Entre autres, DishBrain exploite le calcul adaptatif des neurones au sein d’un environnement structuré. « Cette nouvelle capacité technologique pourrait éventuellement surpasser les performances des systèmes existants purement à base de silicium », estime Razi.
Révolutionner l’intelligence artificielle ?
Le réseau neuronal biologique a été conçu à partir cellules embryonnaires de rongeurs ou de cellules souches humaines pluripotentes induites (hiPSC). Les cellules ont été cultivées au sein d’un réseau multiélectrodes à haute densité et ont pu démontrer avec succès une intelligence biologique. En effet, le réseau de microélectrodes était à la fois capable de lire les activités des cellules et de stimuler celles-ci à l’aide de signaux électriques.
Dans son ensemble, le système tire parti d’une propriété inhérente aux neurones à partager « un langage » d’activité électrique, permettant de relier le système en silicium au réseau de cellules vivantes par le biais de stimulations et d’enregistrements électrophysiologiques.
Dans une expérience datant de l’année dernière, les scientifiques ont testé les capacités de la puce avec le jeu vidéo Pong. Dans cette version du jeu, les neurones recevaient un stimulus électrique en mouvement, représentant le côté de l’écran où se trouvait la balle et la distance à laquelle cette dernière se trouvait par rapport à la palette. Les cellules pouvaient ensuite agir sur la palette en la déplaçant de gauche à droite, exactement comme dans le jeu.
Dans un deuxième temps, un système de récompense basique a été mis en place afin d’évaluer comment le réseau semibiologique peut réduire l’imprévisibilité de son environnement. S’il parvient à recevoir la balle avec la palette, il reçoit un stimulus agréable et prévisible. En revanche, s’il manque la balle, un stimulus désagréable et imprévisible de quatre secondes est induit. Dans l’expérience présentée dans l’étude de 2022, DishBrain s’est rapidement adapté en apprenant à jouer correctement en seulement 5 minutes ! Ce système de récompense est essentiel, car lorsque des stimuli sans rétroaction sont induits, le dispositif ne démontre aucun apprentissage.
Ces résultats suggèrent qu’à l’instar des neurones de notre cerveau, DishBrain manifeste de la sensibilité par le biais de processus adaptatifs. Ce qui suggère que le dispositif possède une capacité d’apprentissage tout au long de sa durée de vie, lui permettant d’acquérir de nouvelles compétences sans oublier les anciennes. À savoir que même si les IA actuelles peuvent se développer en acquérant de nouvelles compétences, elles sont tout de même limitées, dans la mesure où elles peuvent « oublier » certaines compétences ou sous-compétences. D’où l’intérêt des systèmes semi-biologiques, qui pourront s’adapter aux changements et appliquer les connaissances précédemment acquises à de nouvelles tâches, tant que leur capacité de calcul, leur mémoire et l’énergie qui les alimente le permettent.
Grâce au nouveau financement, les concepteurs de DishBrain pourront en augmenter sa capacité et évaluer jusqu’où peut aller le dispositif et s’il peut remplacer certains dispositifs actuels à base de silicium. Par ailleurs, « nous utiliserons cette subvention pour développer de meilleurs systèmes d’IA reproduisant la capacité d’apprentissage de ces réseaux de neurones biologiques », conclut Razi.