L’article de 1939 d’Oppenheimer et Snyder a marqué un tournant dans la physique théorique, en prédisant l’existence des trous noirs bien avant leur confirmation observationnelle. Ils ont démontré qu’une étoile suffisamment massive s’effondrerait indéfiniment une fois ses sources d’énergie épuisées. Connu principalement comme le père de la bombe atomique, Oppenheimer a ouvert la voie à des décennies de recherches sur les trous noirs. Un héritage méconnu qui souligne les conséquences bénéfiques ou destructrices de la science en fonction de l’utilisation que nous en faisons.
Les trous noirs, dont l’existence a été prédite par la théorie de la relativité générale d’Einstein, suscitent une fascination sans fin et font l’objet de nombreuses recherches. Parmi les scientifiques qui ont contribué à notre compréhension de ces entités cosmiques, J. Robert Oppenheimer occupe une place de choix.
Oppenheimer est surtout connu pour son rôle de directeur du projet Manhattan, qui a conduit à la création de la bombe atomique, mis en scène récemment dans une œuvre cinématographique. Mais c’est oublier bien vite qu’il a également apporté une contribution significative à la théorie des trous noirs. En 1939, bien avant que les trous noirs ne soient confirmés par l’observation, Oppenheimer et son étudiant Hartland Snyder ont publié un article qui a jeté les bases de notre compréhension actuelle de ces phénomènes célestes et qui a eu des implications profondes pour notre compréhension de l’univers lui-même. Leur article est toujours disponible dans la revue Physical Review Journals Archive.
Un pionnier méconnu pour les trous noirs
Le travail d’Oppenheimer et Snyder en 1939 a constitué une avancée significative dans la théorie de la relativité générale d’Einstein. Ils ont exploré les implications de cette théorie pour une étoile massivement dense qui a épuisé toutes ses sources d’énergie thermonucléaire. Selon les équations de la relativité générale, une telle étoile devrait se contracter sous l’effet de sa propre gravité.
Ils ont conclu que, sauf si la rotation de l’étoile provoque une fission, ou si la masse de l’étoile est réduite par radiation, l’étoile continue à se contracter indéfiniment. Cela conduirait à la formation d’une région de l’espace où la gravité est si forte qu’aucune matière ou lumière ne peut s’échapper. C’est ce que nous appelons aujourd’hui les trous noirs.
Ils ont également prédit que le rayon de l’étoile approcherait asymptotiquement son rayon gravitationnel, un concept clé dans la théorie moderne des trous noirs. De plus, ils ont noté que la lumière émise par la surface de l’étoile serait progressivement rougie et pourrait s’échapper sur une plage d’angles de plus en plus étroite.
Un travail longtemps ignoré par la communauté scientifique
Ces prédictions étaient révolutionnaires à l’époque et ont jeté les bases de la théorie moderne des trous noirs. Cependant, il a fallu attendre les années 1960 avant que ce travail ne reçoive l’attention qui lui était due. En effet, le concept de trous noirs était bien en avance sur son temps. À l’époque, la plupart des scientifiques ne pouvaient pas imaginer l’existence d’objets aussi extrêmes. D’autant plus que la technologie nécessaire pour détecter de tels objets n’existait pas encore, rendant le concept purement théorique.
Sans compter que le monde était en pleine Seconde Guerre mondiale, et que l’attention de la communauté scientifique était largement concentrée sur les efforts de guerre. Oppenheimer lui-même a été recruté pour diriger le projet Manhattan, qui visait à développer la première bombe atomique. Cela a sans doute détourné l’attention de son travail sur les trous noirs.
Enfin, il est important de noter que la théorie de la relativité générale d’Einstein, sur laquelle s’appuie le travail d’Oppenheimer et Snyder, était encore relativement nouvelle et mal comprise par de nombreux scientifiques. Cela a pu contribuer à la réticence de la communauté scientifique à accepter leurs conclusions.
Une origine multiple pour la théorie des trous noirs
Oppenheimer n’était pas le seul à avoir théorisé les trous noirs. En fait, l’idée des trous noirs remonte à 1916, lorsque l’astronome allemand Karl Schwarzschild a trouvé une solution exacte aux équations de la relativité générale d’Einstein. Cette solution contenait ce que l’on appelle une « singularité », un point où la physique telle que nous la connaissons cesse d’exister. C’était la première indication théorique de l’existence des trous noirs.
De plus, à l’époque d’Oppenheimer, le physicien indien-américain Subrahmanyan Chandrasekhar a également fait des travaux importants sur la fin de vie des étoiles et la formation des trous noirs. Mais le travail d’Oppenheimer et Snyder était unique dans le fait qu’il a été le premier à utiliser les équations de la relativité générale pour décrire le processus de formation d’un trou noir.
Étonnamment, l’idée des trous noirs était si étrange et si en avance sur son temps que même Einstein lui-même a eu du mal à l’accepter. Effectivement, en 1939, alors que les deux chercheurs travaillaient sur leur article, Einstein travaillait lui sur une étude visant à montrer que les trous noirs ne pouvaient pas exister.
Plusieurs décennies seront alors nécessaires avant que les trous noirs ne soient confirmés par l’observation, validant ainsi le travail précurseur d’Oppenheimer et Snyder.
Le paradoxe d’Oppenheimer
Le paradoxe d’Oppenheimer est un concept qui met en lumière la dualité de la carrière scientifique de J. Robert Oppenheimer. D’un côté, il est connu comme le « père de la bombe atomique », cet outil de destruction massive qui a changé le cours de l’histoire et déclenché une nouvelle ère de guerre et de politique internationale.
D’un autre côté, Oppenheimer est reconnu pour sa contribution significative à une avancée majeure dans notre compréhension de l’Univers. Ce contraste entre la création et la destruction illustre comment la science, en fonction de son application, peut être utilisée pour créer ou pour découvrir, pour détruire ou pour comprendre. C’est un rappel que la science elle-même est neutre. C’est l’utilisation que nous en faisons qui peut avoir des conséquences bénéfiques ou destructrices.