Face à la croissance constante des listes d’attente pour les transplantations d’organes, la science cherche des alternatives innovantes. Des scientifiques ont développé des reins en intégrant des cellules humaines dans des embryons de porcs. Cette technique, décrite dans une étude récente, pourrait offrir une solution à la pénurie d’organes. Toutefois, elle ouvre également un débat sur les implications éthiques et les défis techniques à surmonter.
La transplantation d’organes est un enjeu médical crucial, confronté à une pénurie persistante d’organes disponibles et à des listes d’attente qui s’allongent. Face à cette réalité, la science explore des alternatives pour répondre à cette demande croissante.
Les chirurgiens transplanteurs cherchant à remédier à la rareté des organes humains ont déjà implanté des reins et des cœurs de porc chez quelques personnes en état de mort cérébrale et chez des patients en phase terminale, dans le cadre de procédures expérimentales. Bien que ceux-ci provenaient de porcs génétiquement modifiés afin que leurs organes évitent un rejet immédiat par les receveurs humains, cette stratégie nécessiterait probablement tout de même un traitement à vie avec des médicaments immunosuppresseurs.
Récemment, des chercheurs de l’Institut de biomédecine et de santé de Guangzhou (Chine) ont franchi une étape significative en cultivant des reins composés en grande partie de cellules humaines à l’intérieur d’embryons de porc. La culture d’organes humains sur des porcs constitue une alternative séduisante aux greffes entre humains, car les patients pourraient recevoir des organes dérivés de leurs propres cellules souches, ce qui ne devrait pas déclencher d’attaque immunitaire.
Cette réalisation, décrite dans la revue Cell Stem Cell, représente une étape cruciale vers la production d’organes humains pour les transplantations. Mais au-delà de son aspect technique, elle soulève d’importantes questions éthiques.
Faire de la place aux cellules humaines
La réalisation repose sur une manipulation génétique des embryons de porc. Concrètement, avant l’introduction des cellules humaines, les embryons de porc sont modifiés au niveau génétique. Cette modification vise à créer un « vide » ou un espace spécifique dans l’embryon du porc, destiné à accueillir les cellules humaines.
L’objectif de cette manipulation est de réduire la compétition entre les cellules du porc et les cellules humaines injectées. En effet, en créant cet espace, les cellules humaines peuvent se développer et se multiplier avec moins d’interférence ou de concurrence des cellules porcines. Cela favorise la formation d’un rein principalement composé de cellules humaines à l’intérieur de l’animal.
Miguel Esteban, chercheur à l’Institut de biomédecine et de santé de Guangzhou, a souligné l’ampleur de l’effort de recherche nécessaire pour parvenir à ce résultat. Selon lui, cette avancée n’est pas le fruit d’une découverte fortuite, mais le résultat de cinq années de travail acharné, de tests et d’expérimentations. Cette période a été essentielle pour peaufiner la technique, s’assurer de sa viabilité et surmonter les nombreux défis associés à la fusion des cellules de deux espèces différentes.
Fusionner deux espèces : le défi de la synchronisation
Les chercheurs ont d’abord identifié des défis spécifiques lors de la fusion des cellules humaines avec les embryons de porc. Ils ont observé que les cellules souches humaines semblaient être en décalage avec les cellules porcines, à la fois en matière de force et de synchronisation.
Le premier défi était que les cellules souches humaines apparaissaient comme étant plus faibles comparées aux cellules porcines robustes. Pour pallier ce problème, l’équipe a utilisé une technique de modification génétique pour stimuler l’activité de deux gènes spécifiques dans les cellules humaines. Cette modification a eu pour effet d’augmenter la compétitivité des cellules humaines, leur permettant de mieux rivaliser avec les cellules porcines. De plus, cette modification a également empêché les cellules humaines de s’autodétruire, un phénomène qui peut survenir lorsque les cellules sont en état de stress ou lorsqu’elles ne peuvent pas s’intégrer correctement.
Le second défi concernait le rythme de développement des cellules. Les cellules humaines étaient plus avancées dans leur développement que les cellules porcines. Pour harmoniser les deux types de cellules, les chercheurs ont élaboré un milieu de culture spécifique. Ce milieu a permis de « reprogrammer » les cellules humaines, les ramenant à un stade de développement plus précoce. Grâce à cette étape, les cellules humaines ont pu s’intégrer de manière plus fluide et synchronisée avec les cellules porcines, favorisant ainsi la formation réussie d’un rein humanisé à l’intérieur de l’embryon de porc.
Les auteurs écrivent dans l’article que quelques-uns des embryons de porc contenaient des reins humains primordiaux. Jusqu’à 65% des cellules de ces organes étaient humaines, ce qui indique que les cellules souches avaient engendré des cellules rénales dans leur environnement porcin.
Une réalité lointaine et des questions éthiques
Tout d’abord, il est essentiel de comprendre que, malgré les avancées réalisées, les reins obtenus par cette méthode ne sont pas encore prêts à être transplantés chez l’homme. Les reins produits sont encore à un stade de développement préliminaire, ce qui signifie qu’ils n’ont pas encore atteint la maturité nécessaire pour fonctionner comme des reins humains complets. De plus, des tests supplémentaires et des études approfondies sont nécessaires pour garantir la sécurité et l’efficacité de ces organes avant toute transplantation potentielle.
Ensuite, cette recherche soulève des questions éthiques complexes. Le bien-être des animaux utilisés dans ces expériences est une préoccupation majeure. Les porcs, en tant qu’êtres sensibles, méritent une considération éthique, en particulier lorsqu’ils sont utilisés comme hôtes pour la culture d’organes humains. Les implications du fait d’introduire des cellules humaines dans un animal doivent être soigneusement évaluées, non seulement du point de vue du bien-être de l’animal, mais aussi des conséquences potentielles pour l’écosystème et la société.
De plus, il existe une préoccupation réelle concernant la possibilité que les cellules humaines puissent migrer et influencer d’autres tissus à l’intérieur du porc, en dehors du rein. Si des cellules humaines étaient intégrées dans le cerveau du porc, cela pourrait-il influencer le comportement ou la cognition de l’animal ? Bien que les chercheurs soient prudents et mettent en place des mesures pour minimiser ces risques, ces questions demeurent et nécessitent une réflexion approfondie.
Notons que l’équipe de recherche travaille également à générer d’autres organes humains dans des embryons de porc, notamment le cœur et le pancréas. Esteban est optimiste quant à la possibilité de surmonter les défis futurs.