Après plus de deux décennies de recherches et d’efforts, les physiciens du CERN ont finalement réussi à reporter la toute première mesure de la lumière émise par un atome d’antimatière, révélant que l’antihydrogène est l’image miroir exacte de l’hydrogène dit ordinaire.
Le résultat, qui confirme enfin ce qui a longtemps été prédit par les lois de la physique, offre à présent de nouvelles possibilités pour tester la théorie de la relativité d’Einstein et pourrait nous aider à répondre à l’un des plus grands mystères de la physique moderne : pourquoi y a-t-il tellement plus de matière ordinaire que d’antimatière dans l’Univers ? « Cela représente un point historique dans les efforts décennaux pour créer de l’antimatière et comparer ses propriétés à celles de la matière », explique le physicien théoricien Alan Kostelecky, de l’Université d’Indiana, qui ne faisait pas partie de l’équipe de recherche.
La loi de la physique prédit que pour chaque particule de matière dite ordinaire, il existe une antiparticule. Donc, pour chaque électron à charge négative, il y a un positron à charge positive. Cela signifie que pour chaque atome d’hydrogène, il existe un atome d’antihydrogène. Et tout comme un atome d’hydrogène est constitué d’un électron lié à un proton, un atome d’antihydrogène est constitué d’un anti-électron (ou positron) lié à un antiproton. Si une antiparticule trouve une particule normale, elles vont s’annihiler, libérant de l’énergie sous forme de lumière.
Mais ce fait laisse apparaître deux gros problèmes : Le premier est que, comme il y a tellement de matière ordinaire dans l’Univers, il est pratiquement impossible pour les physiciens de trouver de l’antimatière dans la nature, car elle sera anéantie avant même qu’ils aient eu la chance de commencer à l’observer. Le deuxième problème est, pourquoi y a-t-il beaucoup plus de matière que d’antimatière ? Si nos modèles de physique actuels suggèrent qu’une quantité égale de particules et d’antiparticules ont été produites lors du Big Bang, est-ce que littéralement tout ce qui existe dans l’Univers n’aurait pas dû s’annuler à ce moment-là ?
« Quelque chose s’est passé, une petite asymétrie qui a mené une partie de la matière à survivre, et nous n’avons tout simplement pas d’idée concrète pour expliquer cela pour le moment », explique Jeffrey Hangst, un membre de l’équipe, de l’expérience ALPHA au CERN, en Suisse.
Mais cela pourrait bientôt changer, car il s’agit de la toute première fois que des scientifiques ont pu mesurer ce type de lumière dégagée par un atome d’antihydrogène lorsqu’ils l’ont frappé avec un laser, puis comparé avec la lumière dégagée par un atome d’hydrogène. Il s’agit de la première fois que nous arrivons à contrôler un atome d’antihydrogène assez longtemps pour mesurer directement son comportement et le comparer à son équivalent ordinaire, l’hydrogène.
« Utiliser un laser pour observer une transition dans l’antihydrogène et le comparer à l’hydrogène pour voir s’ils obéissent aux mêmes lois de la physique a toujours été un objectif clé dans la recherche de l’antimatière », a déclaré Hangst.
Comme il est impossible de trouver une particule d’antihydrogène dans la nature (étant donné que l’hydrogène est l’élément le plus abondant de l’Univers, il annihile facilement les particules d’antihydrogène qui pourraient subsister), les scientifiques doivent produire leurs propres atomes d’antihydrogène.
Durant les 20 dernières années, l’équipe de l’expérience ALPHA du CERN a travaillé pour comprendre comment produire suffisamment de ces atomes d’antihydrogène pour avoir une chance de travailler avec ces derniers. L’équipe a fini par réussir à mettre au point une technique qui leur permet de créer environ 25’000 atomes d’antihydrogène toutes les 15 minutes, pour finalement en piéger une quinzaine. Les méthodes précédentes ne permettaient de piéger qu’environ 1,2 atomes d’antihydrogène toutes les 15 minutes.
Ces particules piégées sont alors exposées à la lumière (des lasers) afin de forcer leurs positrons à « sauter » d’un niveau d’énergie inférieur à un niveau d’énergie supérieur. Lorsque les positrons retournent au niveau d’énergie inférieur, la quantité de lumière qui a été libérée peut être mesurée.
L’équipe a ensuite constaté que l’atome d’antihydrogène émettait le même spectre de lumière que les atomes d’hydrogène ordinaires, dans ce même test. « Nous avons longtemps pensé que l’antimatière était un reflet exact de la matière, et nous rassemblons des preuves pour démontrer que c’est effectivement vrai », explique Tim Tharp, de l’expérience ALPHA du CERN.
Le résultat de cette étude est cohérent avec le modèle standard de la physique des particules, qui prédit que l’hydrogène et l’antihydrogène auront des caractéristiques électroluminescentes identiques. Mais à présent, les physiciens ont la possibilité de tester encore plus d’émissions de spectres lumineux en utilisant différents types de lasers.
Si tous les résultats sont identiques, alors la relativité restreinte d’Eistein perdurera, comme l’explique Adrian Cho dans la revue Nature :
« Expliquer en quoi exactement la relativité restreinte nécessite une antimatière pour réfléchir la matière, implique beaucoup de mathématiques. Mais en gros, si cette relation de miroir n’était pas exacte, alors l’idée de base derrière la relativité restreinte ne pourrait pas être correcte.
La relativité restreinte suppose qu’une seule chose unifiée, appelée espace-temps, se divise différemment dans l’espace et le temps pour des observateurs qui se déplacent l’un par rapport à l’autre. Il suppose qu’aucun observateur ne peut dire qui se déplace réellement et qui est stationnaire. Mais, cela ne peut pas être correct si la matière et l’antimatière ne se reflètent pas. »
Mais si la matière et l’antimatière ne se reflètent pas l’une l’autre, si l’antimatière n’obéit pas aux mêmes lois de la physique que la matière ordinaire, alors il sera confirmé que nos modèles actuels concernant le Big Bang possèdent de gros défauts.
Quels que soient les résultats finaux de l’expérience, cela nous donnera la possibilité de mieux comprendre pourquoi la matière a échappé à un anéantissement total dans l’Univers, permettant à toutes choses d’exister.
« Nous sommes vraiment ravis de pouvoir enfin dire que nous l’avons fait. Pour nous, c’est vraiment important », a conclu Hangst.