Une étude innovante sur les méduses, ces organismes dépourvus de cerveau, révèle des facultés d’apprentissage et de mémorisation remettant en question les perceptions traditionnelles de la cognition de ces animaux. Ces découvertes, en mettant en lumière les capacités adaptatives de ces créatures primitives, pourraient conduire à une meilleure compréhension de tout un ensemble d’espèces marines.
Les méduses, souvent réduites à leur aspect translucide et à leurs tentacules urticants, sont parmi les plus anciens animaux de notre planète, peuplant les océans depuis au moins 500 millions d’années. Leur anatomie primitive sans cerveau a conduit la science à les percevoir comme des êtres dénués de capacités cognitives — autrement dit, comme des créatures agissant uniquement par réflexes et instinct.
Cependant, une récente étude menée par l’Université de Kiel révèle une réalité bien différente, suggérant que ces organismes marins pourraient être capables d’apprendre et de mémoriser. Cette découverte remet en question les fondements de notre compréhension de l’intelligence et de la cognition de ce genre d’animal, sans compter que ces nouvelles connaissances pourraient être transférées de la nature à des domaines techniques tels que la robotique. L’article est disponible dans la revue Current Biology.
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Une exploration des capacités cognitives
L’étude est centrée sur une espèce spécifique de méduses, les méduses-boîtes ou cuboméduses (Tripedalia cystophora). Elles ont été choisies en raison de leur structure corporelle simple, n’étant pas plus grande qu’un ongle, et de leur réseau de neurones rudimentaire, ne contenant que quelques cellules nerveuses.
Pourtant, la méduse-boîte possède un système visuel complexe avec 24 yeux. Elle les utilise pour naviguer dans les eaux troubles des mangroves des Caraïbes, chasser les puces d’eau et éviter les racines sous-marines des arbres. Le Dr Jan Bielecki de l’Institut de physiologie de l’Université de Kiel, auteur principal de l’étude, explique dans un communiqué : « Bien qu’il s’agisse d’animaux simples, ils possèdent une capacité visuelle impressionnante qu’ils utilisent pour adapter leur comportement ».
L’objectif principal de l’équipe était d’examiner de manière approfondie les capacités cognitives de ces méduses, en particulier leur aptitude à apprendre et à mémoriser. Pour ce faire, les chercheurs ont confronté les méduses à divers obstacles dans leur environnement, dans des expériences contrôlées.
Ils ont simulé l’habitat naturel de la méduse avec un réservoir d’eau sur lequel des rayures grises et blanches ont été peintes sur la paroi intérieure. Les rayures grises représentaient les racines de mangrove que la méduse a l’habitude d’éviter, tandis que les rayures blanches représentaient l’environnement aquatique. La méduse-boîte exploite les contrastes de couleurs pour percevoir les distances spatiales. Les chercheurs ont donc varié les contrastes au cours de l’expérience.
Des résultats inattendus
Au début de l’expérience, les méduses heurtaient souvent les racines simulées sur la paroi du réservoir. Mais au bout de quelques minutes seulement, elles avaient déjà augmenté leur distance moyenne par rapport au mur d’environ 50%, les heurtant deux fois moins souvent.
Les méduses boîtes ont donc non seulement démontré une capacité à éviter les obstacles de manière plus efficace au fil du temps, mais elles ont également montré des signes d’adaptation et de modification de leur comportement en réponse à leur environnement. Anders Garm, co-auteur et professeur de biologie marine à l’université de Copenhague, au Danemark déclare : « Ces résultats suggèrent que les méduses peuvent apprendre en combinant des expériences de stimulation visuelle et mécanique ».
Le rôle clé des neurones
L’absence de cerveau centralisé dans ces organismes a longtemps conduit à la supposition que les méduses étaient des créatures largement réactives, incapables de comportements adaptatifs complexes ou d’apprentissage. Cependant, les récentes découvertes indiquent que leur réseau de neurones simple leur permet d’effectuer des ajustements comportementaux en réponse à des changements dans leur environnement, suggérant une capacité à apprendre et à s’adapter.
Le rôle crucial de ce réseau de neurones rudimentaire dans l’adaptation et la modification du comportement des méduses soulève des questions fascinantes sur la nature de la cognition et de l’intelligence. Bielecki explique : « Il s’agit d’une forme d’apprentissage plus élevée que celle que l’on pourrait attendre d’une telle créature ». D’un point de vue évolutif, les méduses sont parmi les premiers animaux à posséder un système nerveux. Il ajoute : « Si ces animaux sont déjà capables d’apprendre, cela pourrait être une capacité fondamentale des neurones ou des réseaux neuronaux. Cela suggère qu’elle existe depuis le début de l’évolution et donc plus tôt que ne le supposait la recherche ».
Réévaluer la cognition animale
Pour mieux comprendre les processus sous-jacents de l’apprentissage associatif chez la méduse cubique, Bielecki a ensuite isolé les centres sensoriels visuels des animaux, appelés rhopalia. Chacun des quatre centres contient six yeux pour seulement 1000 cellules nerveuses.
Bielecki a alors « montré » aux rhopalia des barres grises en mouvement pour simuler une méduse s’approchant d’un obstacle. Mais ce n’est que lorsqu’il a appliqué de faibles stimuli électriques à ces derniers — simulant un impact contre le mur — qu’ils ont réagi et produit des signaux, incitant la méduse à prendre des mesures d’évitement. Cela a permis à Bielecki non seulement de modifier le comportement des méduses, mais aussi de localiser leurs processus d’apprentissage dans leur rhopalia, pour la première fois.
Traditionnellement, la capacité à apprendre, à mémoriser et à adapter le comportement a été associée à la présence d’un cerveau et d’un système nerveux avancé. Découvrir de telles capacités chez un organisme aussi primitif et simple que la méduse pourrait conduire à une meilleure compréhension de l’évolution de la cognition et de l’intelligence dans le règne animal.