Depuis la découverte du boson de Higgs en 2012, il est courant de lire que ce dernier est l’explication principale de la masse de toute la matière classique qui nous entoure. Or, il s’agit d’une affirmation erronée.
En effet, le boson de Higgs n’est pas à l’origine de la masse de notre environnement. Quelle est alors la véritable source de la masse de tous les objets qui nous environnent, des atomes jusqu’aux étoiles les plus massives ?
Retour sur le boson de Higgs
Le 4 juillet 2012, le CERN annonce avoir identifié le boson de Higgs au LHC avec une fidélité de 99,99997 %. L’année suivante, en 2013, le prix Nobel de physique est accordé à Peter Higgs et François Englert. La découverte est importante, puisque le boson de Higgs et son champ associé viennent compléter une partie manquante essentielle du Modèle Standard des particules. Le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH) offre une explication à la séparation des interactions électromagnétiques et nucléaires faibles en conférant une masse aux bosons W/Z.
Afin de comprendre le mécanisme BEH, il est nécessaire de faire la différence entre le champ de Higgs et le boson de Higgs. Le champ de Higgs, comme les autres champs quantiques du Modèle Standard, est un champ présent en chaque point de l’espace. Le boson de Higgs, quant à lui, est l’excitation de ce champ. À l’image d’une secousse provoquant des ondes à la surface de l’eau.
Plus précisément, il s’agit du paquet d’énergie, le quanta, associé à une excitation du champ de Higgs ; comme le photon est le paquet d’énergie associé au champ électromagnétique. Le champ de Higgs existe donc indépendamment du boson de Higgs ; comme un lac existe sans ses ondes de surface.
Lorsqu’une particule élémentaire interagit avec le champ de Higgs, elle acquière sa masse. Actuellement, l’on suppose que le mécanisme BEH confère leur masse aux leptons (électrons, muons, neutrinos…), aux quarks et aux bosons W/Z. Selon l’intensité du couplage entre une particule élémentaire et le champ de Higgs, la masse sera différente.
En réalité, à la lumière du fonctionnement du mécanisme BEH, il serait plus correct de dire que les particules acquièrent leur inertie ; puisque le champ de Higgs baigne l’ensemble de l’espace, selon son couplage avec celui-ci, une particule aura plus ou moins de difficulté à se déplacer à l’intérieur. À l’inverse, certaines particules élémentaires n’interagissent pas du tout avec le champ de Higgs. C’est le cas du photon ou encore du gluon, qui possèdent tous deux une masse théoriquement nulle.
Suite à ces quelques explications, l’on comprend donc que le boson de Higgs ne joue aucun rôle dans l’acquisition de leur masse par les particules. Cette masse est uniquement conférée par le champ de Higgs, par l’interaction des particules élémentaires avec lui. En outre, aujourd’hui, le champ de Higgs se trouve dans son état de plus basse énergie, c’est-à-dire que son « activité quantique » est extrêmement faible.
De temps à autre, un boson de Higgs apparaît spontanément puis disparaît quasiment aussitôt selon le principe d’indétermination d’Heisenberg, de la même manière que les autres particules virtuelles du vide quantique. Dès lors, à moins de dégager suffisamment d’énergie pour le « forcer » à apparaître (c’est ce qu’il se passe lors des collisions de particules au LHC), le boson de Higgs est aux abonnés absents depuis plusieurs milliards d’années.
Un champ de Higgs insuffisant
Le champ de Higgs confère donc leur masse aux particules élémentaires tels que les électrons, les quarks et les neutrinos. La quasi-totalité de la matière baryonique (c’est-à-dire la masse ordinaire, hors matière sombre) qui nous entoure, des grains de sable aux galaxies les plus massives, est constituée par les atomes, plus particulièrement par l’agencement de nucléons : les protons et les neutrons qui sont des particules dites « composites » car composées de particules élémentaires. Ceux-ci constituent le noyau atomique autour duquel se répartissent les électrons, l’ensemble nucléons-électrons formant l’atome.
Les masses du proton et du neutron sont respectivement de 938.272 MeV et 939.565 MeV (MeV pour méga électron-volt ; en effet, en physique des particules, la masse des particules est donnée par leur équivalent en énergie via la formule E=mc2). La masse de l’électron, quant à elle, est de 511 keV. Puisque 1 keV = 103 eV et 1 MeV = 106 eV, un rapide calcul montre donc que le proton et le neutron sont environ 1900 fois plus massifs que l’électron. L’électron n’est donc pas responsable de la masse globale de l’atome.
Les nucléons sont constitués de quarks, qui sont des particules élémentaires. Un proton est composé de deux quarks UP (charge électrique positive) et d’un quark DOWN (charge électrique négative). Un neutron est, lui, composé de deux quarks DOWN et d’un quark UP. Le quark UP possède une masse allant de 1.7 à 3.3 MeV ; le quark DOWN une masse allant de 4.1 à 5.8 MeV. Dans le cas du proton et du neutron, les trois quarks ne participent donc seulement respectivement qu’à hauteur d’environ 12.4 MeV sur 938 MeV et 14.9 MeV sur 940 MeV. Là encore, la masse des quarks ne permet pas d’expliquer la masse globale de l’atome.
Si le champ de Higgs n’est pas responsable de la plus grosse fraction de la masse de la matière environnante, alors quelle en est la source ?
Un autre boson dans la course : le gluon
Les gluons sont les bosons médiateurs de l’interaction nucléaire forte. Leur rôle ? Ils servent de « colle » entre les quarks. C’est grâce aux gluons que les différents quarks demeurent confinés entre eux au sein des hadrons, et notamment des protons et des neutrons. Les gluons n’interagissent pas avec le champ de Higgs, ils ne possèdent donc pas de masse. La théorie quantique décrivant le comportement des gluons se nomme la chromodynamique quantique. Celle-ci montre que les quarks échangent en permanence entre eux une multitude de gluons, créant une véritable « mer de gluons » à l’intérieur des protons et des neutrons.
Chacun de ces gluons établit une liaison chargée d’énergie entre les quarks. Grâce à l’équivalence énergie-masse donnée par la formule E=mc2, cette énergie de liaison est équivalente à une masse. Dès lors, on s’aperçoit que la somme de toutes ces énergies de liaison est responsable de la véritable masse de l’atome. Ainsi, ce sont les gluons et leur énergie qui confèrent la presque totalité de sa masse à la matière ordinaire, et non le champ de Higgs via les électrons et les quarks.