Récemment, une étude a mis en lumière une étroite corrélation entre les troubles du spectre de l’autisme (TSA) et le bisphénol-A (BPA) — un additif couramment utilisé pour le plastique. La nouvelle analyse, impliquant une centaine d’enfants, révèle qu’il serait également impliqué dans le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), en réduisant considérablement la capacité naturelle de détoxification de l’organisme. En effet, le composé a tendance à s’accumuler dans le corps au fil du temps.
Au cours des dernières décennies, l’incidence des TSA et du TDAH a considérablement augmenté. Bien que les mécanismes physiopathologiques soient encore largement méconnus, les scientifiques estiment que leur étiologie est multifactorielle (génétique et environnementale). Comme nous le savons déjà, les enfants souffrent d’une exposition toujours plus élevée aux polluants environnementaux, et les niveaux croissants de ces polluants dans notre environnement coïncident avec l’augmentation du nombre d’enfants diagnostiqués pour les troubles neurodéveloppementaux. Par exemple, un lien étroit entre les TSA et les niveaux élevés de lithium dans l’eau du robinet a récemment été mis en évidence.
La nouvelle étude cependant, dirigée par la Rowan-Virtua School of Osteopathic Medicine (RVSOM), se concentre sur le BPA et le phtalate de diéthylhexyle (DEHP), deux additifs similaires et couramment utilisés pour la fabrication de différents plastiques. Ils sont par exemple présents dans les bouteilles en plastique et les barquettes alimentaires pour en assurer la rigidité ou la résistance à l’eau et à l’oxydation. De ce fait, l’alimentation est la principale voie d’exposition, suivie de l’inhalation. Malgré leur toxicité et leur implication potentielle dans différentes pathologies (troubles hormonaux et infertilité, cancer du sein,…), ces composés sont toujours présents dans de nombreux processus industriels.
D’autres études ont antérieurement mis en lumière une association entre les troubles neurodéveloppementaux et l’exposition à ces additifs plastifiants. Cependant, la plupart sont basées sur des analyses épidémiologiques de l’urine maternelle. Les rares études se consacrant aux processus biochimiques sous-tendant ce lien suggèrent que les composés agissent comme de faibles perturbateurs endocriniens. Mais ces hypothèses manquaient jusqu’ici d’arguments.
Les nouveaux résultats, parus dans la revue PLOS ONE sont les premiers à mettre en évidence le processus biochimique exact sous-tendant cette corrélation chez les enfants présentant un TSA ou un TDAH. En outre, l’étude apporte une preuve supplémentaire quant à l’étiologie multifactorielle de ces troubles. L’analyse a été menée en collaboration avec l’Université de Rutgers et la New Jersey Medical School.
Une capacité réduite de détoxification naturelle
Dans une précédente étude, des chercheurs ont suggéré que la capacité des enfants TSA à éliminer le BPA et le DEHP est compromise. En effet, notre capacité à éliminer ces substances de notre organisme implique un processus appelé glucoronidation. Cette voie assure le métabolisme et l’excrétion des additifs plastifiants, en les rendant solubles dans l’eau par le biais de l’ajout d’un groupement glucosé, permettant ainsi leur élimination urinaire. Plus précisément, cette étape inclue le transfert de l’acide glucuronique de l’acide uridine-5′-diphospho-α-D-glucuronique (UDPGA) vers la molécule toxique cible (qui peut être un hydroxyle, une amine, un carboxyle, un sulfhydryle, etc.), par l’uridine 5′-diphospho-glucuronyltransférase (UGT). Bien que le processus soit commun, il est assuré par une large gamme d’enzymes dont le mélange peut considérablement varier d’un individu à l’autre. Les personnes présentant certaines variabilités génétiques ont plus de difficulté à détoxifier leur sang et ont tendance à accumuler davantage les BPA et DEHP dans leur organisme.
Dans le cadre de la nouvelle étude, les scientifiques ont cherché à déterminer si l’altération de la glucoronidation était spécifique au TSA ou si elle s’appliquait à d’autres troubles neurodéveloppementaux. Dans ce sens, le TDAH a été sélectionné en raison de ses nombreux symptômes communs avec l’autisme. L’analyse comprend 66 enfants présentant un TSA, 46 autres enfants TDAH et 37 neurotypiques. Les résultats ont révélé que la capacité du premier groupe à assurer l’élimination du BPA était environ 11% inférieure à celle du groupe témoin. Ce chiffre est passé à 17% pour le second groupe.
D’après T. Peter Stein, auteur principal de l’étude et professeur au RVSOM, il s’agit de « la première preuve biochimique concrète du lien entre le BPA et le développement de l’autisme ou du TDAH ». « Nous avons été surpris de constater que le TDAH présente le même défaut de désintoxication au BPA », explique-t-il dans un communiqué. Le DEHP a montré des tendances similaires, mais non significatives.
Cependant, étant donné que ce défaut d’élimination ne concerne qu’une partie des enfants de l’étude présentant l’un des troubles, les chercheurs estiment que d’autres facteurs parallèles sont très probablement impliqués. Toutefois, il ne pourrait s’agir que d’une voie majeure, car « autrement, elle n’aurait pas été aussi facilement détectable dans une étude de taille modérée », suggère Stein. Davantage de recherches sont nécessaires afin de déterminer notamment si les troubles se développent in utero, suite à l’exposition de la mère aux polluants, ou si les enfants les développent qu’après leur naissance.