Des chercheurs ont mis en lumière un comportement de simulation de la mort chez les grenouilles femelles européennes communes, qui leur sert à échapper à l’accouplement non désiré. Une tactique astucieuse qui, au-delà de son caractère fascinant, soulève des questions pertinentes sur les mécanismes de survie des espèces et les approches de conservation.
Dans le vaste éventail des comportements animaux, la reproduction a toujours été un domaine présentant une diversité étonnante de stratégies et de tactiques. Les grenouilles, ces créatures souvent associées à la métamorphose et aux croassements nocturnes, se retrouvent sous les projecteurs scientifiques non pas pour leur capacité à changer de forme cette fois-ci, mais pour une stratégie inattendue. Les chercheurs Carolin Dittrich et Mark-Oliver Rödel du Musée d’Histoire Naturelle de Berlin ont découvert un comportement étonnant chez les grenouilles femelles européennes communes (Rana temporaria).
Selon leur étude publiée dans le journal Royal Society Open Science, ces grenouilles ont développé une stratégie inattendue pour échapper à l’accouplement non désiré : elles simulent leur propre mort. Ce comportement, loin d’être un simple fait divers dans le monde animal, ouvre un nouveau chapitre dans notre compréhension des stratégies de reproduction des amphibiens et pose des questions cruciales sur la dynamique des interactions sexuelles dans le règne animal.
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La lutte contre les « bals de reproduction »
Les grenouilles européennes communes (Rana temporaria) manifestent un mode de reproduction qualifié « d’explosif » en raison de son intensité et de sa brièveté dans le temps. Ce phénomène se caractérise par la formation d’un « bal de reproduction », où un groupe de mâles, souvent six ou plus, entoure une seule femelle dans une tentative simultanée et frénétique de s’accoupler avec elle. Cette situation peut s’avérer dangereuse, voire mortelle pour la femelle.
En effet, dans leur ardeur à s’accoupler, les mâles peuvent submerger la femelle, la plaçant sous l’eau, et dans certains cas la noyant en raison de la pression physique exercée par plusieurs individus. Ce comportement de reproduction collective et concurrentielle soulève des questions pertinentes concernant les mécanismes de survie et de choix du partenaire chez les grenouilles femelles.
Trois stratégies de défense
C’est pourquoi les grenouilles femelles ont élaboré trois mécanismes de défense pour esquiver l’accouplement non désiré. Afin de les mettre en évidence, les chercheurs ont collecté des grenouilles rousses mâles et femelles dans un étang pendant la saison de reproduction et les ont divisées dans des réservoirs remplis d’eau, de sorte que chaque réservoir contenait deux femelles et un mâle. Ils ont ensuite filmé les grenouilles pendant une heure.
La première stratégie, la « rotation », voit la femelle se retourner sur le dos, submergeant ainsi le mâle sous l’eau. Cette action oblige le mâle à relâcher son emprise pour éviter de se noyer, interrompant ainsi l’acte d’accouplement. Cette technique peut également servir de test, évaluant la persévérance et la force du mâle, des attributs qui pourraient être bénéfiques pour sa progéniture. Sur les 54 femelles saisies par un mâle, 83% d’entre elles se sont retournées sur le dos en réponse.
La deuxième stratégie implique l’utilisation de la communication acoustique, spécifiquement à travers l’émission de « cris de libération ». Ces cris, normalement utilisés par les mâles pour signaler un accouplement non souhaité avec d’autres mâles, sont imités par les femelles dans le but de tromper le mâle agresseur et de le pousser à se désengager. 48% des femelles testées utilisaient cette technique.
La troisième stratégie, à la fois audacieuse et dramatique, est la simulation de la mort. Dans cette mise en scène, la femelle adopte une posture de rigidité, restant parfaitement immobile et étendant ses membres d’une manière qui évoque un état de décès. Cette tactique vise à décourager le mâle, qui, confronté à une partenaire apparemment morte, est incité à abandonner ses tentatives d’accouplement. Un tiers des femelles de l’expérience la pratiquaient.
De manière générale, 46% des femelles, quelle que soit la stratégie employée, ont pu échapper à un accouplement non désiré. De plus, les femelles plus petites et probablement plus jeunes étaient plus susceptibles d’utiliser ces trois stratégies, en particulier la mort simulée. Cela pourrait être dû au stress accru chez les femelles plus jeunes, qui ont peut-être moins d’expérience de reproduction.
Implications pour la conservation
L’étude des comportements de reproduction, notamment les stratégies d’évitement d’accouplement chez les grenouilles femelles, transcende l’intérêt purement académique et s’inscrit dans une perspective plus large de conservation des espèces. La grenouille commune européenne, bien que relativement abondante comparativement à d’autres espèces, n’est pas à l’abri des menaces qui pèsent sur sa survie. Au cours des 17 dernières années, une baisse préoccupante de sa population a été observée, principalement attribuée à des facteurs environnementaux tels que le manque de pluie et les périodes de sécheresse prolongées.
Ces conditions climatiques défavorables peuvent impacter directement les habitats des grenouilles, réduisant les zones humides nécessaires à leur reproduction et à leur survie. De plus, la diminution des ressources en eau peut également affecter la disponibilité de la nourriture et exposer davantage les grenouilles à leurs prédateurs, en les forçant à s’aventurer dans des zones plus ouvertes et vulnérables en quête de ressources.
Dans ce contexte, comprendre les subtilités des comportements de reproduction des grenouilles devient crucial. Les connaissances acquises sur les stratégies d’évitement d’accouplement des femelles pourraient être utilisées pour informer les efforts de conservation, en veillant à ce que les conditions de reproduction soient optimales et en minimisant le stress supplémentaire sur les femelles pendant la saison des amours. Cela pourrait impliquer la création ou la préservation d’habitats de reproduction sûrs et accessibles, la gestion des populations mâles pour éviter le harcèlement excessif des femelles et potentiellement l’élevage en captivité pour assurer la viabilité des populations de grenouilles dans des conditions climatiques de plus en plus imprévisibles.