Il ne nous resterait que 6 ans pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, révèlent des scientifiques dans un énième avertissement. De nouvelles estimations de notre budget carbone restant (pour ne pas dépasser ce seuil de sécurité) suggèrent notamment qu’il y a 50% de chances qu’il soit épuisé avant 2030, si le rythme actuel d’émissions de CO2 est maintenu. Le rapport révèle également qu’il ne nous reste qu’environ 20 ans pour maintenir la hausse des températures en dessous de 2 °C.
Le budget carbone restant (BCR) correspond à la quantité nette de CO2 que l’humanité peut encore émettre tout en maintenant le réchauffement climatique en dessous d’un seuil donné. Ce facteur est essentiel lorsqu’on considère la vitesse de décarbonation nécessaire à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris, consistant notamment à limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus du seuil préindustriel et à le maintenir au maximum en dessous de 2 °C. Le BCR est ainsi utilisé pour évaluer les progrès des efforts mondiaux visant à atteindre ces objectifs.
La plupart des approches visant à estimer le BCR consistent à le diviser entre les pays selon différents principes d’équité. Cependant, les dernières valeurs estimées comportaient des incertitudes. Une nouvelle analyse BCR, effectuée par des chercheurs de l’Imperial College de Londres, est la plus précise à ce jour.
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Une fenêtre de sécurité se fermant rapidement
Dans la nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Climate Change, les calculs du BCR sont entièrement mis à jour et incluent ainsi les résultats d’une modélisation climatique améliorée. Ils sont aussi calibrés pour correspondre au dernier rapport du GIEC. L’évaluation s’appuie entre autres sur une meilleure estimation des effets de refroidissement des aérosols, qui diminuent à l’échelle mondiale.
Les calculs ont révélé qu’il nous resterait moins de 250 gigatonnes de BCR pour qu’il y ait 50% de chances de limiter le réchauffement à 1,5 °C avant 2030. Cela signifie que si les émissions de carbone sont maintenues à leur rythme actuel (environ 40 gigatonnes par an), ce BCR sera épuisé d’ici 2029 et engagera la planète dans des températures supérieures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. En d’autres termes, il ne nous resterait que 6 ans pour changer de cap et accélérer la réduction des émissions carbone, pour ne pas dépasser ce seuil critique.
Ce budget est inférieur à celui précédemment estimé et est réduit de moitié depuis 2020, en raison de la constante augmentation des émissions de CO2 — principalement issues de combustibles fossiles. En effet, malgré les efforts de décarbonation, ces derniers restent la principale source d’énergie utilisée dans le monde. Selon Robin Lamboll, auteur principal de l’étude, « nos résultats confirment ce que nous savons déjà : nous n’en faisons pas assez pour maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C ».
En outre, pour qu’il y ait de 50% de chances de limiter le réchauffement à 2 °C, il ne nous reste que 1200 gigatonnes de BCR. Autrement dit, si les quantités d’émission actuelles ne sont pas réduites, ce budget sera épuisé d’ici 2046. « L’absence de progrès en matière de réduction des émissions signifie que nous pouvons être de plus en plus certains que la fenêtre permettant de maintenir le réchauffement à des niveaux sûrs se ferme rapidement », estime Lamboll. Ces résultats concordent avec le dernier rapport climatique de l’ONU, suggérant qu’il y a 1 chance sur 3 que le BCR soit aussi restreint que ce qu’estime la présente étude.
Un degré d’incertitude
Toutefois, les experts affirment que ce BCR nouvellement estimé est si limité que des changements mineurs dans notre compréhension des phénomènes climatiques pourraient entraîner des modifications majeures dans ces estimations. En outre, ces dernières comportent tout de même un certain degré d’incertitude (bien qu’elles restent les plus précises à ce jour), lié notamment à la contribution des autres gaz à effet de serre (GES) au réchauffement. La dépendance de ces derniers aux facteurs socio-économiques et géophysiques entrave la précision de leur évaluation.
En effet, des recherches ont précédemment suggéré que l’augmentation de la température ne dépend pas des émissions de carbone ponctuelles (qui se produisent à des moments donnés), mais de leur accumulation. D’un autre côté, les estimations du BCR dépendent également de l’ampleur des émissions d’autres GES. De ce fait, les calculs doivent à la fois prendre en compte différents scénarios d’émissions de CO2 et différents GES.
Dans les derniers rapports d’évaluation du GIEC, un ensemble de valeurs décomposant le BCR en émissions de CO2 et non C02 a été pris compte. La partie CO2 a été évaluée analytiquement en intégrant des informations provenant de plusieurs sources de données, tandis que la partie non-CO2 a été évaluée par le biais d’une modélisation climatique. En tenant compte de ces facteurs, le BCR pour le seuil 1,5 °C est réduit de 100 gigatonnes par rapport aux précédentes évaluations (du GIEC).
Par ailleurs, l’on ne sait pas non plus comment d’autres éléments du système climatique pourraient réagir à la hausse des températures. Une croissance accrue de la végétation dans certaines régions pourrait par exemple séquestrer de grandes quantités de CO2 et contribuer à pallier le réchauffement, tandis que les changements dans les courants océaniques et la fonte des calottes glaciaires pourraient l’accélérer. « Cela montre l’importance de ne pas se contenter d’examiner les estimations centrales, mais aussi de prendre en compte l’incertitude qui les entoure », conclut Lamboll.