Le mystère persistant autour de la matière noire a conduit des physiciens à proposer qu’elle ait pu se former à un moment distinct de la matière ordinaire. Leur nouvelle hypothèse avance notamment qu’il y aurait eu un second Big Bang, qualifié de « sombre », survenant après celui proposé par le modèle cosmologique standard, et qui serait à l’origine de la matière noire. Bien que cela puisse sembler invraisemblable, cette hypothèse pourrait expliquer pourquoi la détection de la matière noire reste insaisissable.
Selon le modèle cosmologique standard, l’Univers a connu une période d’inflation peu après le Big Bang. Cette phase de transition a vu une expansion rapide de l’espace-temps, stimulée par l’énergie du vide, omniprésente dans l’espace. Cette étape a précédé le Big Bang « chaud », caractérisé par une série de transformations énergétiques, conduisant à la stabilisation de l’expansion et à la libération de l’énergie du vide sous forme d’un plasma chaud de particules. Ce processus a engendré les particules de la matière ordinaire (photons, leptons, quarks, etc.) ainsi que celles constituant la matière noire (comme les hypothétiques Particules Massives à Faible Interaction ou WIMPs).
Cependant, ce modèle rencontre des difficultés pour expliquer la formation de la matière noire, notamment notre incapacité à la détecter. Des phénomènes cosmologiques qui ne peuvent être expliqués par la seule présence de la matière visible suggèrent une autre source gravitationnelle significative. Les galaxies, tournant rapidement les unes autour des autres dans les amas, et les régions périphériques des galaxies, tournant aussi vite que leurs centres, indiquent la présence d’importantes masses de matière invisible générant une gravité additionnelle, probablement cinq fois plus abondante que la matière visible.
Selon des chercheurs de l’Université du Texas à Austin, la difficulté de la matière noire à interagir avec la force nucléaire faible, l’une des quatre forces fondamentales de la nature, pourrait entraver sa détection. Dans ce contexte, seule la gravité les relierait à la matière ordinaire. La gravité étant faible à l’échelle des particules individuelles, leur détection deviendrait presque impossible.
Ces hypothèses les ont amenés à proposer une révision du modèle cosmologique standard. Ils suggèrent que la matière noire aurait pu se former séparément de la matière visible, lors d’un second Big Bang. Cet événement aurait eu lieu dans le mois suivant le Big Bang chaud, avec une influence mineure sur la structure des galaxies.
Un Big Bang « sombre » à l’origine de particules étranges
Le scénario cosmologique alternatif de cette nouvelle étude propose que la formation de la matière visible et de la matière noire soient complètement distinctes. Selon cette théorie, le Big Bang chaud n’aurait produit que du rayonnement et de la matière visible, excluant toute matière noire. Cependant, alors que le secteur sombre serait initialement froid, il ne contiendrait qu’une faible quantité d’énergie du vide par rapport à la densité de rayonnement existante.
L’énergie du vide, ne subissant pas de décalage vers le rouge, pourrait devenir significative plus tard, bien qu’elle ne domine jamais la densité énergétique de l’Univers. Lorsque cette énergie se désintègre lors d’une transition de phase sombre, elle pourrait générer de grandes quantités de matière noire et potentiellement des rayonnements sombres. Les chercheurs ont nommé cette phase majeure le « Big Bang sombre », ou « Dark Big Bang ».
Ils postulent que ce second Big Bang aurait pu créer au moins trois types de particules de matière noire distincts, chacun plus étrange que l’autre. Si la transition de phase était soudaine, elle aurait produit des particules massives via des bulles en expansion, convertissant le système d’un état à un autre, à l’instar des bulles d’eau bouillante. Lors de collisions entre ces bulles, elles éclateraient, libérant leur énergie.
Dans un scénario de Big Bang sombre, les bulles seraient tellement énergétiques qu’elles produiraient d’énormes particules d’environ 10 000 milliards de fois la masse d’un proton. Ces particules hypothétiques sont surnommées « darkzillas », en référence au monstre fictif géant japonais.
Par contre, si la transition de phase était progressive, le Big Bang sombre engendrerait des particules plus modestes, similaires aux WIMPs. Celles-ci interagiraient avec des versions sombres des forces fondamentales, comme un électromagnétisme sombre produisant des photons sombres. Toutefois, en l’absence de ces forces, les particules générées ne pourraient pas équilibrer leur énergie en absorbant ou en créant des photons sombres. Pour compenser, elles deviendraient des « particules cannibales sombres », se dévorant entre elles pour tenter de maintenir un équilibre.
Les chercheurs estiment que les bulles de changement de phase liées au Big Bang sombre pourraient laisser des empreintes distinctes d’ondulations dans l’espace-temps, sous forme d’ondes gravitationnelles. Ils pensent que l’analyse de ces ondes, détectées pour la première fois en 2016, pourrait potentiellement corroborer leur théorie. Les détails de l’étude sont disponibles en prépublication sur le serveur arXiv.