Des scientifiques ont découvert un comportement inédit de l’électricité dans certains métaux étranges, dans lesquels elle s’écoule comme un liquide. Cette observation, contraire aux modèles théoriques sur la circulation de l’électricité, remet en question le rôle des quasi-particules dans ces matériaux. La recherche en physique quantique, notamment la compréhension des mécanismes sous-jacents à la supraconductivité, pourrait directement bénéficier de cette découverte.
Les métaux étranges, tels que le YbRh2Si2 (dans sa phase dite « étrange »), ont longtemps intrigué les scientifiques en raison de leur résistance électrique atypique. Contrairement aux métaux conventionnels, leur résistance augmente de manière linéaire avec la température, un phénomène qui défie les modèles classiques. Cette particularité a conduit à des études approfondies visant à comprendre la nature de ce comportement électrique.
Des expériences récentes ont révélé que, contrairement aux métaux ordinaires, dans ces métaux atypiques, l’électricité peut s’écouler d’une façon qui évoque le flux d’un liquide. Cette découverte, publiée dans la revue Science et issue de collaborations internationales, s’adresse directement aux théories établies sur les courants électriques et ouvre la voie à de nouvelles recherches en physique quantique.
Une remise en question des quasi-particules ?
Les chercheurs de l’étude ont mené des expériences sur des nanofils d’un matériau quantique critique avec un rapport précis 1-2-2 d’ytterbium, de rhodium et de silicium (YbRh2Si2). Le matériau montre un degré élevé d’intrication quantique qui produit un comportement dépendant de la température très inhabituel (dit « phase étrange ») et très différent de celui des métaux classiques, tels que l’argent ou l’or.
Plus précisément, les auteurs se sont concentrés sur le « bruit de tir », un phénomène qui reflète la granularité du flux de charge électrique. Dans un métal ordinaire, ce bruit est relativement élevé, reflétant le mouvement des quasi-particules, des entités qui portent la charge électrique.
Cependant, dans le cas d’une phase étrange, le bruit de tir est étonnamment faible, suggérant une réduction significative de la granularité du flux de charge. Cette observation implique que, contrairement aux métaux ordinaires, les quasi-particules pourraient ne pas être les principaux acteurs dans le transport de l’électricité dans les métaux étranges. Au lieu de cela, l’électricité semble s’écouler de manière plus continue et homogène, rappelant le comportement d’un liquide.
La fluidité du mouvement des charges électriques dans les métaux étranges remet en question les modèles actuels basés sur les quasi-particules. Doug Natelson, de l’Université Rice, l’un des auteurs de l’étude, explique dans un communiqué : « Le bruit est considérablement supprimé par rapport aux conducteurs ordinaires. C’est peut-être la preuve que les quasi-particules ne sont pas des choses bien définies ou qu’elles ne sont tout simplement pas présentes, et que les charges se déplacent de façon plus complexe. Nous devons trouver le bon vocabulaire pour parler de la manière dont les charges peuvent évoluer collectivement ».
Natelson a déclaré que la plus grande question est de savoir si un comportement similaire pourrait survenir dans l’un ou dans l’ensemble des dizaines d’autres composés présentant un comportement métallique étrange.
Vers une nouvelle compréhension des matériaux et de l’électricité
Les résultats obtenus viennent appuyer une théorie audacieuse formulée il y a plus de deux décennies par Qimiao Si, l’un des co-auteurs de la présente étude. Cette dernière suggérait que dans certains matériaux, en particulier ceux approchant du zéro absolu (-273,15 °C), le comportement des électrons subit une transformation radicale. À ces températures extrêmement basses, les électrons, selon Si, cessent de présenter les caractéristiques nécessaires à la formation de quasi-particules, un concept central dans la compréhension du transport électrique dans les métaux.
Les quasi-particules sont des entités qui émergent de l’interaction collective des électrons dans un matériau. Elles sont considérées comme des particules individuelles et sont essentielles pour expliquer comment les électrons se déplacent et transportent le courant dans les métaux conventionnels, selon nos connaissances actuelles. Cependant, la théorie de Si postule que dans les conditions de température proche du zéro absolu, les interactions entre les électrons deviennent si fortes et complexes qu’elles empêchent la formation de ces quasi-particules. En d’autres termes, les électrons ne se comportent plus comme des entités indépendantes, mais plutôt comme un collectif fortement corrélé.
Cette approche théorique, désormais étayée par les récentes découvertes dans les métaux étranges, pourrait radicalement transformer notre compréhension de la physique de ces matériaux. Elle suggère que les propriétés électriques de ces métaux ne peuvent pas être pleinement expliquées par les modèles classiques basés sur les quasi-particules. Au lieu de cela, il faut envisager des modèles où les électrons interagissent de manière beaucoup plus complexe et collective, ce qui pourrait expliquer le comportement électrique inhabituel observé, comme le flux électrique « liquide ».
Ces résultats pourraient donc approfondir notre compréhension, pour le moment rudimentaire, des métaux étranges, mais aussi influencer la manière dont nous abordons d’autres phénomènes quantiques, notamment dans le domaine de la supraconductivité et des technologies quantiques avancées.